A propos de la loi du gouvernement suédois pénalisant le consommateur de la prostitution : le client
A propos de la loi du gouvernement suédois pénalisant le consommateur de la prostitution : le client
Par Marie-Josée Salmon, mai 2003.
On sait que le gouvernement suédois a adopté en 1998 une loi (mise en application en 1999) pénalisant le consommateur de prostitution – le client -, législation actuellement soutenue par 80 % de la population. Ce changement radical de point de vue suppose une réflexion d’ensemble. Le séminaire organisé par l’ambassade de Suède à Paris, le 11 mars 2003, a permis de dégager quelques grandes lignes. En Suède, la prostitution et la traite des êtres humains, indissolublement liées, sont considérées comme un élément constitutif de la violence des hommes envers les femmes et les enfants. « Par cette décision, la Suède a voulu clairement indiquer aux autres pays qu’elle considère la prostitution comme une forme grave d’oppression sur les femmes, contre laquelle il faut lutter. » (feuillet de documentation, Ministère de l’Economie et du Commerce. Novembre 2002). Cette lutte constitue une priorité car elle est la mise en œuvre du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. « L’égalité ne peut être atteinte tant que les hommes achètent, vendent et utilisent des femmes et des enfants en les prostituant. »
La position suédoise est l’aboutissement d’un long processus (plus de vingt ans) qui témoigne d’une réelle politique de changement. Elle a été rendue possible par des débats, des études effectuées par plusieurs commissions d’enquête, en particulier un rapport de 700 pages (en 198) qui pulvérise calmement tous les mythes et les mensonges autour de la prostitution. Ont également pesé le mouvement féministe dont le gouvernement suédois reconnaît le rôle pionnier, et la présence de 41% de femmes en 1994 (43% en 1998) au Parlement. Rappelons toutefois que ce pourcentage élevé n’a pas été atteint sans pression. En effet, en 1994, face aux partis politiques peu enclins à donner leur place légitime aux femmes, un réseau décida de constituer une liste féministe composée de femmes de différents partis. Horrifiés et inquiets, les socio-démocrates respectèrent leurs engagements : la moitié des parlementaires furent des femmes … Cette volonté politique d’éradiquer la prostitution et la traite a entraîné une stratégie : elle implique une collaboration étroite entre divers ministères, la police, les associations, les élus locaux afin de mettre en place des formations à tous les niveaux, des campagnes publiques etc …
En Europe, officiellement, les violences masculines envers les femmes sont à l’ordre du jour. Mais la volonté politique de prendre en considération l’importance et la signification du problème est variable selon les pays. En France, la perception de la violence est en miette : un jour, les femmes battues, un autre jour, le harcèlement sexuel, un autre encore, la traite … Contrairement à la Suède, il n’existe pas d’approche globale, ce qui n’est pas innocent. Dans l’ensemble, les médias et l’opinion publique participent de cette perception en lambeaux. Qu’un problème devienne trop gênant, on s’empresse de le reléguer dans une catégorie étanche : selon un récent sondage du journal Le Parisien, 63% des personnes interrogées se prononcent pour la réouverture des maisons closes ! Autre exemple, la focalisation, depuis quelque temps sur les jeunes femmes des banlieues. Sans aucun lien avec la situation des femmes en France. Or, si les femmes habitant ces quartiers vivent l’intolérable puisqu’elles cumulent plusieurs oppressions, leur situation est aussi révélatrice de phénomènes d’ensemble. Les viols collectifs (banalisés sous le nom de « tournantes ») ont suscité de nombreux articles, mais qui a rappelé à cette occasion que, en 1999, 48000 femmes avaient été violées ? (Enquête nationale sur les violences envers les femmes). Alors qu’on s’étonne du long silence de ces jeunes femmes, qui se souvient que la même enquête soulignait l’importance du non-dit ? Il faut le redire, les violences masculines à l’égard des femmes traversent toutes les couches sociales. Et les viols collectifs ne sont pas l’apanage des banlieues. Le sexisme est entré à l’école.
La violence sexuelle est étroitement liée à l’appropriation des espaces collectifs par les garçons. Ils marquent leur territoire. Or, précise Fadéla Amara, Présidente de la Fédération des Maisons des Potes, « Pour acheter la paix sociale, les politiques publiques ont été conjuguées au seul masculin, reléguant les femmes dans leur foyer. » Dysfonctionnement ? « Bavure » ? Non, manifestation du fonctionnement de la société patriarcale. Reléguer les femmes dans leurs foyers fut le but ultime du 19ème siècle. En dépit de nombreuses avancées, pouvons-nous affirmer que la conquête de l’espace public est achevée ? Que les femmes aient encore à « se justifier » de leur présence en certains lieux, à certaines heures, signifie que leur droit d’exister est encore contrôlé.
Multiples et changeants sont les masques de l’oppression. Mais, voici que, refusant les clivages imposés, les maisons closes de la pensée, les lignes de démarcation, les limites territoriales, des femmes, des féministes se sont mises à marcher. 1995 : Montréal, 2000 : Marche Mondiale des Femmes contre la Pauvreté et les Violences, 2003 : Marche contre les Ghettos et pour l’égalité.
Marie-Josée SALMON.