Lettre ouverte à ARTE à propos de l’émission « Où sont passées les féministes ? » / 18 décembre
Arte a présenté le 9 décembre 2003 un Théma intitulé : « Où sont passées les féministes ? » et dont la deuxième partie était consacrée à un documentaire, « Profession, féministes », signé Sophie Jeanneau.
Dès le début cette jeune femme nous avertit qu’elle n’est pas féministe. Et d’expliquer aussitôt que sa mère ne l’était pas non plus. Le féminisme serait-il un paquet cadeau qui passe de mains en mains ? Etrange conception. Certes, les jeunes femmes ont hérité des acquis des luttes féministes mais la transmission ne saurait être un mouvement à sens unique : l’activité doit être double, de la part de celles qui transmettent mais aussi de la part des jeunes générations qui accueillent la transmission. Autrement dit, il ne suffit pas d’ouvrir le bec et de piailler. Mais, passons. Ce qui nous intéresse, c’est la qualité du documentaire. Hélas, c’est peu de dire que les choses se gâtent, elles pourrissent très vite. En effet, partir de la certitude que la seule réalité est celle qui est exprimée par les médias conduit, par un glissement insidieux, à laisser sous-entendre que, si bien des féministes ne sont pas connues (c’est le mot clé), c’est la preuve qu’elles ne font rien ou qu’elles n’existent plus. Dès lors, les jeux sont faits. Il n’y a rien à dire et, en guise d’enquête, on nous sert les clichés les plus coriaces – « la guerre des sexes, les féministes goudous, moches et hystériques, sans oublier la ritournelle sur les mille morts annoncées du féminisme -, autant de paroles pétrifiées, autant d’inepties si précieusement transmises ! Imagine-t-on un ou une journaliste claironnant : on a dit que la terre est plate, Qu’en pensez-vous ? Répondez ! Quant au rythme du film, il épouse celui du zapping, le but étant d’éliminer les femmes interrogées. Picorage et papillonnage conduisent à des interviews caricaturales, à des erreurs grossières, à des partis-pris plus que réducteurs. Quel mépris pour le public !
Bien des documentaristes de talent l’ont dit : on ne fait pas un documentaire pour ou contre les gens, on le fait AVEC EUX. Cela signifie un certain recul par rapport à soi-même, un refus du pouvoir afin de laisser exister les personnes filmées ; cela suppose qu’on prenne l’autre au sérieux, qu’on accueille l’imprévu, ce qui, forcément, n’est pas toujours rassurant. Que suggère Agnès Varda ? « Le talent, quand on fait un documentaire, c’est d’arriver à se faire oublier. Le sujet principal, c’est eux. Pas moi. » Bien sûr, elle, et d’autres, ne se privent pas à l’occasion d’un petit commentaire ou même d’un coup de patte. Mais l’objectif est d’amener le public à s’interroger, quitte à le décevoir momentanément pour le conduire plus loin. Ce sont précisément toutes ces qualités qui manquent au film qu’Arte a jugé bon de présenter.
Nous ne refusons pas la provocation, à condition qu’elle ne soit pas le masque de l’ignorance, à condition qu’elle conduise à une découverte ou à un changement de point de vue. A ce propos, nous aimerions suggérer à Arte un thème susceptible d’éclairer le public, un sujet en or car il n’a jamais été traité à la télévision : il s’agit de l’antiféminisme. Sa diversité n’a d’égale que sa longévité. Bien plus, il est toujours d’actualité.
Marie-Josée SALMON et Monique DENTAL
Paris, le 18 décembre 2003.
Contact : monique.dental@orange.fr
Collectif Féministe « Ruptures »
c/o Maison des Femmes de Paris
163 rue de Charenton 75012 Paris