La clôture de la 3ème action de la Marche Mondiale des Femmes à Bukavu en République Démocratique du Congo
Extrait du Courrier de la Marche Mondiale des Femmes n° 168 du 8 octobre 2010)
La troisième action internationale de la Marche Mondiale des Femmes (MMF) a commencé le 8 mars 2010. Depuis, des actions nationales ont été réalisées dans 52 pays en mobilisant directement plus de 38.000 femmes qui ont bâti des plateformes nationales autour de quatre champs d´actions : autonomie économique des femmes ; bien commun et services publics ; violence envers les femmes ; paix et démilitarisation.
Au Pakistan, les femmes sont sorties dans les rues, même après que les fondamentalistes aient fait exploser des bombes pour terrifier la population. Au Mali, les femmes ont débattu sur la construction de la paix et ont organisé des manifestations à Gao, zone de conflit armé. En Grèce, elles ont réalisé des manifestations contre la continuité des dépenses militaires au moment de la crise financière, alors que les autres dépenses publiques sont coupées,; et dénoncent le manque de politiques publiques face à l’augmentation du chômage, déjà élevé chez les femmes. Au Brésil, plus de 2.000 femmes ont marché pendant 10 jours sous le slogan : «Nous serons en marche jusqu’ à ce que nous soyons toutes libres».
Au cours de l’année 2010, nous avons réalisé trois actions régionales qui ont amené des débats et de manifestations publiques. En Asie, des femmes de 10 pays se sont rencontrées à Manille, Philippines, et ont manifesté contre l’intervention, le contrôle et la présence militaire des États-Unis au Sud Est Asiatique. En Europe, des femmes de 23 pays se sont rencontrées à Istanbul, Turquie, et ont proclamé dans les rues leurs revendications avec le slogan « Femmes, Paix, Liberté». En Amérique, la MMF s’est jointe au Mouvements des Femmes contre la Guerre et pour la Paix ainsi qu´à d´autres mouvements populaires pour faire connaître et dénoncer la réalité du conflit colombien et protester devant la Base Militaire de Palenquero, en Colombie, une des sept bases où les États-Unis veulent s’installer pour avoir un contrôle géopolitique de la région.
La clôture de tous ces riches processus s’est réalisée à Bukavu, République Démocratique du Congo (RDC). Nous avions décidé d’y aller, d’abord pour exprimer notre solidarité avec les femmes qui résistent quotidiennement dans un contexte de conflit armé, en particulier les femmes de la région Est de la RDC. Mais aussi, pour continuer notre travail de réflexion et de dénonciation de la militarisation croissante du monde : la militarisation montante est un outil que soutient le patriarcat dans ses liens avec le capitalisme et le racisme.
Pendant notre action, nous avons rencontré plusieurs exemples de la manière dont ces liens sont tissés. En Corée, les bases militaires des États Unis sont entourées par des maisons de prostitution, surtout des femmes immigrées des Philippines ou de Russie. Les corps de femmes sont utilisés pour faire plaisir aux «visiteurs» qui gardent une relation toujours hiérarchique et contrôlée avec les peuples locaux. En Colombie, les paramilitaires ou l’armée entretiennent l’illusion des adolescentes de se sentir protégées par un amant en uniforme, afin d´extraire des informations ou d´avoir quelqu’un qui leur prépare à manger. En Turquie, les nationalistes traitent en ennemis ceux qui refusent de faire le service militaire et menacent de violer leur mère. Reconnaitre les liens entre exploitation économique et violences racistes et sexistes, que ces exemples nous présentent et qui marquent la vie de millions de femmes dans le monde, est un moyen fondamental pour trouver des alternatives qui vont directement au but.
En République Démocratique du Congo, plusieurs organisations de femmes existent au niveau local. Mais la concertation entre elles n’est pas facile : en effet, le pays est trop vaste, les rencontres entre personnes coûtent très cher, les problèmes sont nombreux suite aux conflits armés qui se répercutent de plusieurs manières dans la société et ont comme conséquences des tensions permanents et violations graves des droits humains. Le mouvement des femmes n’est pas exempt de tous ces abus. Les femmes de la RDC ont des propositions pour leur pays, des propositions qui ont leurs racines dans ces expériences quotidiennes de lutte. Notre but était de les renforcer pour que leurs démarches aboutissent et assurent une vie de justice, de liberté, d’égalité pour les femmes et tout le peuple. Un des résultats attendus de la clôture de notre action à Bukavu sera le rassemblement des femmes des différentes provinces de la RDC pour se concerter autour d’un Cahier des Charges – une plateforme des demandes nationales. Les femmes de la RDC vont se rassembler aussi pour trouver une manière de travailler ensemble et construire une Coordination Nationale de la MMF comme un mouvement permanent.
Il n’est pas possible de résoudre les conflits en RDC sans prendre en compte les pays limitrophes. Nous sommes sûres que le travail commun des organisations des femmes des pays des Grands Lacs africains créera une base solide pour le dialogue et l’unité des peuples dans la région. Suite à l´Action Internationale de la MMF de l’an 2000, cinq coalitions d’associations féminines du Burundi, de la RDC (Nord et Sud Kivu) et du Rwanda ont décidé de travailler ensemble pour la paix dans la région des Grands Lacs par la participation des femmes. Ainsi est née la COCAFEM – GL (Concertation des Collectifs des Associations oeuvrant pour la promotion des Femmes de la Région des Grands Lacs Africains).
En 2000, elles se sont dotées d’une plateforme commune pour réclamer :
– La reconnaissance de la femme en tant qu’interlocutrice dans la recherche de la paix dans la sous-région des Grands Lacs africains.
– La mise en place de mécanismes d’identification des réseaux de commercialisation des armes, de prévention et d’arrêt des conflits qui ravagent la sous-région des Grands Lacs africains.
– Pour dire “stop”! aux pays qui se cachent derrière des intérêts économiques pour mettre la sous-région de Grands Lacs africains à feu et à sang.
– La mise en place de mécanismes adéquats pour condamner et punir tous les crimes commis dans la sous-région des Grands Lacs africains.
– L’adoption de mesures d’annulation de la dette en faveur des programmes de réhabilitation socio-économique des pays de la sous-région de Grands Lacs africains sans autres conditions.
– La révision de la législation nationale et internationale et l’élaboration des mécanismes d’application en vue d’éliminer toutes les inégalités basées sur le sexe.
– La considération de la lutte contre le SIDA comme la priorité des priorités dans la sous région de Grands Lacs Africains.»
Cette plateforme est un point de départ et une référence pour les femmes qui viennent d’autres pays. Nous espérons que le moment de l’action sera une occasion de rencontre entre les femmes de la RDC, Rwanda, Burundi, mais aussi de République Centrafricaine, Uganda et Kenya, où une nouvelle Coordination Nationale de la MMF est très active et engagée auprès des femmes les plus pauvres. À Bukavu, nous pourrons aussi échanger avec les femmes qui vivent dans d’autres pays et qui résistent aux différentes formes de militarisation. Ce sera un moment favorable pour approfondir les analyses qui ont comme point de départ les demandes et engagements que nous nous sommes accordés pendant la VIIème Rencontre Internationale de la MMF pour les quatre champs d’actions, particulièrement sur le thème de la paix et la démilitarisation.