L’Assemblée va-t-elle abolir la prostitution ?
L’Assemblée va-t-elle abolir la prostitution ?
Libération, 6 décembre 2011
Les députés relancent mardi le débat sur la prostitution, entre partisans de sa disparition totale et défenseurs d’un encadrement, en se prononçant sur une résolution sur l’abolition. Cette résolution, qui « réaffirme la position abolitionniste de la France en matière de prostitution » vise à « battre en brèche les idées reçues qui laissent accroire que sous-prétexte que la prostitution serait le plus vieux métier du monde, elle est une fatalité », expliquent ses auteurs.
Elle est présentée par la députée PS Danielle Bousquet, qui a présidé une mission d’information parlementaire sur la prostitution en France, le député UMP Guy Geoffroy, rapporteur de la mission, et tous les présidents de groupes à l’Assemblée. « Il fallait une étape importante, symbolique et solennelle » dans la lutte contre la prostitution, explique Guy Geoffroy.
Le texte précise que les principes abolitionnistes, adoptés par la France en 1960, « doivent être proclamés haut et fort à une époque où la prostitution semble se banaliser en Europe ».
La pénalisation, «la meilleure piste»
Dans la foulée du vote, sera déposée une proposition de loi pour inscrire dans le code pénal « ce qui dans la résolution relève du domaine législatif », comme la pénalisation des clients. Guy Geoffroy préfère parler de « responsabilisation » pour rappeler « que neuf personnes prostituées sur dix sont victimes de la traite des êtres humains ».
Actuellement, recourir à une personne prostituée n’est pas un délit. Mais la mission parlementaire, s’inspirant de la Suède qui sanctionne les clients depuis 1999, a conclu au printemps que la pénalisation du client constituait « la meilleure piste pour voir diminuer la prostitution en France, là où tous les pays qui ont réglementé cette activité l’ont vu augmenter ».
Le sujet fait débat, même au sein du gouvernement. Le ministre de l’Intérieur Claude Guéant a rappelé en avril que cela supposerait une « révision profonde » du régime pénal, la prostitution n’étant pas un délit actuellement. Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités, s’est dite favorable à une sanction des clients.
« Sur ce sujet, le consensus n’est pas fait », reconnait Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles, qui a lancé un appel pour l’abolition de la prostitution avec 40 associations. « Les députés qui voteront mardi la résolution abolitionniste voteront-ils ensuite son application concrète », se demande-t-il, estimant « plus que jamais nécessaire de clarifier la position française » face à des pays comme l’Allemagne qui ont choisi de réglementer cette activité.
La position abolitionniste « semblait un peu oubliée. On voit régulièrement ressurgir des propositions de réouverture de maisons closes », déplore Hélène de Rugy, déléguée générale de l’Amicale du Nid.
Crainte de la clandestinité
Dans son manifeste « Nous n’irons plus au bois », le collectif d’hommes « Zeromacho » soutient aussi la résolution, pour rappeler que « la prostitution reste avant tout une affaire d’exploitation », explique leur porte-parole Gérard Biard. A l’inverse, le Syndicat des travailleurs du sexe (Strass) a écrit aux députés pour leur demander de ne pas voter la résolution, estimant que cela pénalisera les prostituées en les poussant vers plus de clandestinité, explique Chloé, prostituée qui manifestera mardi devant l’Assemblée.
Act-Up et Aides, réunis avec le Strass et 14 associations au sein du Collectif « Droits et prostitution » partagent ce constat, affirmant que face à la réduction du nombre de leurs clients, les prostituées seraient contraintes d’accepter des rapports non protégés.
Le Strass, qui distingue la prostitution librement consentie et la traite des être humains par des réseaux mafieux – qu’il dénonce-, demande plutôt de « véritables droits » pour les prostituées.
Environ 20 000 personnes se prostituent en France, selon diverses estimations.