« Commémoration du massacre de l’école polytechnique à Paris, Place du Québec »
« Commémoration du massacre à Paris, Place du Québec »
A l’initiative de l’Association Encore Féministes ! Chaque 6 décembre, à 19 Heures
(au coin de la rue de Rennes et du bd St-Germain, en face de l’église Saint-Germain-des-Prés).
Pour qu’on n’oublie pas ces femmes qui ont été tuées parce qu’elles étaient des femmes, et qu’elles étudiaient des matières scientifiques. Pour qu’on pense aux analphabètes du monde dont les deux tiers sont des femmes et des filles. Pour qu’on se souvienne que l’accès à l’instruction est l’un des droits humains fondamentaux.
Florence Montreynaud : Les mots qui blessent, les mots qui tuent (1999) : Les mots qui sauvent (2009) Allocution de Regan Kramer, prononcée le 6 décembre 2009, Place du Québec, à Paris. Toutes et tous ici, nous avons déjà entendu parler de la difficulté des filles à accéder à l’éducation, que ce soit en Asie, en Afrique, en Amérique Centrale ou ailleurs. Néanmoins, il n’est pas inutile de nous rappeler qu’en novembre 2008, dans une région d’Afghanistan contrôlée par les Taliban, 6 hommes masqués à moto ont aspergé d’acide le visage de 11 jeunes filles et de 4 professeures qui se rendaient à pied à une école pour filles. Elles ont toutes survécu à l’attaque, mais avec des séquelles, souvent graves. Le plus extraordinaire dans l’histoire, c’est que presque toutes ont repris le chemin de l’école dès qu’elles l’ont pu. Shamsia Humeini avait 17 ans lors de l’attaque. Ses yeux ont été abîmés par l’acide, et elle ne peut plus lire. Ses professeurs l’ont encouragée à reprendre ses études quand-même. A un journaliste du New York Times venu dans son école qui s’étonnait que ses parents l’autorisent à y retourner, elle a expliqué : « Mes parents m’ont dit qu’il faut que je poursuive me études, même s’ils me tuent. ».
« Même s’ils me tuent ». Tragiquement, ce n’est pas qu’une façon de parler, car si nous sommes réunis ici aujourd’hui, c’est parce que partout dans le monde – même au Canada, un pays pourtant réputé pour son esprit d’ouverture, et sa culture peu violente – il y a des gens qui sont prêts à tout – et même au meurtre – pour empêcher les filles de s’instruire, que ce soit parce qu’ils estiment que les filles n’ont pas besoin d’apprendre car leur seule vraie vocation c’est d’être mère de famille, de n’exercer de pouvoir qu’au lit ou dans le seul cercle familial, ou parce qu’ils estiment que chaque fois qu’une fille accède à l’éducation, voire à un travail bien rémunéré, elle leur vole une place qui leur revient de droit, en tant qu’homme, en tant que mâle. Toujours est-il qu’il y a 20 ans aujourd’hui, Marc Lépine, un Canadien de 25 ans, est entré dans l’Ecole Polytechnique de Montréal armé d’un fusil et d’un couteau de chasse. Dès la première salle de cours, il a fait sortir les 60 étudiants garçons avant de tirer sur les 9 étudiantes filles criant « Je hais les féministes ». Puis il a continué son funeste trajet, qui s’est soldé par 14 morts : 13 étudiantes et une secrétaire. 14 jeunes femmes courageuses, dont 13 désireuses d’exercer un métier dit « masculin », sont donc tombées sous les balles sexistes. 14 femmes victimes de l’expression la plus extrême, la plus brutale, de l’idée qu’il y a une place pour les filles – à la maison, aux fourneaux, au lit, ou auprès d’un berceau – et une autre pour les garçons – sur les bancs de l’école ou du Parlement, dans les postes à pouvoir dans les affaires ou la politique. Mais si ces 14 femmes sont devenues des symboles, des martyres malgré elles du féminisme, elles étaient d’abord des êtres humains, avec des parents, des camarades, des amis… Et tout comme les parents de Shamsia Humeini, cette jeune Afghane au visage brûlé à l’acide, les parents de ces jeunes femmes comprennent tout le sens du sacrifice de leur fille.
En 1995, j’ai assisté à la conférence Onusienne des droits des femmes à Pékin. À un atelier sur la violence faite aux femmes, une femme d’une cinquantaine d’années a pris la parole. « Certaines d’entre vous se souviennent sûrement du massacre à l’Ecole Polytechnique de Montréal » a-t-elle commencé. « Moi, je ne l’oublierai jamais. Je suis la mère de l’une des filles tuées. Avant le massacre, je ne me considérais pas comme une féministe. Mais depuis, je me bats pour défendre le principe pour lequel ma fille est morte. Pour que ma fille et ses camarades ne soient pas morts en vain, il ne faut pas que nous baissions les bras. Il faut défendre le droit des filles et des femmes … d’aller à l’école, d’aller partout. Et il ne faut jamais oublier le sort de ma fille, ni de toutes les autres filles et femmes dans le monde victimes de la violence masculine, victimes de l’idée qu’elles ne sont pas partout à leur place. » Ainsi, aujourd’hui, 20 ans jour pour jour après cette tuerie, nous sommes là pour nous en souvenir ; nous sommes là pour rendre hommage à la mémoire de ces victimes du sexisme ; nous sommes là pour dire à cette mère que non, nous n’oublierons pas sa fille, ni aucune des autres.