Edito janvier 2012
Automne 2001, les forces de la coalition internationale envahissent l’Afghanistan pour traquer les dirigeants du mouvement Al Qaïda. La présence des Américains et de leurs alliés était censée conduire à la paix, à la démocratie, à l’établissement des droits fondamentaux pour les femmes. Dix années se sont écoulées et les objectifs énoncés sont loin d’être atteints alors que le retrait des troupes des différents pays engagés est officiellement programmé et que le conflit perdure.
Quelques mois après l’intervention militaire et la chute du régime des taliban, le président américain George Bush clamait : « Maintenant les femmes afghanes sont libres. » Cette fanfaronnade était surtout révélatrice de sa méconnaissance de l’histoire afghane : les taliban avaient radicalisé toutes les interdictions déjà imposées aux femmes par les moudjahidins pendant la guerre civile (1992-1996). Reconnaissons que, de 2002 à 2005, des progrès concernant la situation des femmes étaient tangibles : scolarisation des filles surtout en ville, accès au travail, présence de 25 % de députées au Parlement, début de changement des mentalités. Mais, l’horizon s’assombrit par la suite : agressions et assassinats d’Afghanes dans la sphère publique visant tout particulièrement les militantes des droits des femmes, accès à l’instruction menacé ainsi qu’aux soins (la mortalité maternelle et infantile est l’une des plus élevée du monde), conflits entre la pratique coutumière et l’égalité constitutionnelle entre les femmes et les hommes …
Comment en est-on arrivé là ? Ces régressions s’inscrivent dans un contexte géopolitique. La victoire stratégique contre les taliban au début du conflit ne s’est pas traduite en victoire politique capable d’établir une paix durable ; les aides promises pour la reconstruction de l’Afghanistan ne constituent que 10 % des dépenses militaires ; les nombreuses organisations non gouvernementales, connaissant souvent mal la société afghane, n’ont pas suffisamment travaillé sur le long terme, contaminées par la culture du rendement et du retour sur investissement. A quoi il faut ajouter la faiblesse de l’autorité gouvernementale, la corruption, l’absence de développement dans le sud du pays …
Selon la politologue Thérèse Delpech, un départ « honorable » des troupes de l’OTAN repose sur trois composantes : « Un pays qui reste indépendant, qui conserve une certaine unité et qui ne remette pas en cause les principaux acquis des années écoulées : Constitution, progrès de l’ alphabétisation, accès aux soins et droits des femmes. » Or, l’indépendance est menacée par les visées du Pakistan, l’unité du pays restera fragile : verra-t-on un retour en force des taliban dans un gouvernement de coalition ? Les seigneurs de la guerre qui, par le passé, ont mis le pays à feu et à sang, vont-ils renforcer leur pouvoir dans leur fief ? Alors que l’armée et la police afghanes sont encore insuffisamment préparées et manquent de moyens pour affronter tous ces dangers, cette insécurité risque bien d’avoir des conséquences négatives pour les femmes afghanes à différents niveaux. Le gouvernement devra négocier avec des factions ultra conservatrices. L’insécurité physique (banditisme, viols, assassinats) constituera une entrave à la scolarisation des filles car les familles hésiteront davantage à les envoyer dans des écoles éloignées de leur domicile alors que la reconstruction du pays est indissociable du développement de l’éducation. La crainte de la violence contribuera à éloigner les femmes de la scène publique en particulier dans les zones rurales où les traditions patriarcales demeurent prégnantes.
Il ya plus de dix ans, le Conseil de Sécurité des Nations Unies adoptait une résolution selon laquelle les états membres doivent « faire en sorte que les femmes soient davantage représentées à tous les niveaux de prise de décision dans les institutions et mécanismes nationaux, régionaux pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. » Or cette résolution est restée lettre morte. L’Occident a mis une croix sur les mesures à prendre pour consolider les droits effectifs des femmes. Les affaires sont les affaires : l’Afghanistan possède d’énormes gisements de matières premières et l’on s’oriente vers des contrats juteux et plus ou moins occultes pour le plus grand bonheur du capitalisme mondialisé. Refusons que la paix, la sécurité, les droits humains fassent l’objet d’obscurs et cyniques marchandages avec les forces obscurantistes.
(Extrait du Bulletin du Réseau Féministe « Ruptures » n° 330-Janvier 2012)
Marie-Josée SALMON
Présidente du Collectif Féministe « Ruptures »