Plateforme Femmes pour la Qualité de la Vie

Plateforme Femmes pour la Qualité de la Vie

« Femmes pour la qualité de la vie »

Pour une approche féministe du développement durable (Collectif Jo’burg, 2002)

Plateforme internationale de réflexion et d’action pour de nouveaux partenariats.

Collectif Jo’burg, 2002

Proposée par les Associations Femmes & Changements, le Réseau Féministe « Ruptures », Groupe « Femmes et mondialisation » d’ATTAC, Rapsode-Production, Enda-Colombie, PsEau, les Editions Cultures Croisées, Le Monde selon les femmes (Belgique) ainsi que des personnes à titre individuel.

La plate-forme est conçue comme un outil de travail proposé aux associations et réseaux de femmes, nos partenaires actuels et futurs, afin d’approfondir ensemble les thématiques au Sommet mondial du développement durable et au-delà.
Elle ne peut ni ne veut être exhaustive. Nous avons simplement mis l’accent sur des thèmes dans lesquels la prise en compte de la « dimension femmes » nous paraît cruciale, comme la féminisation de la pauvreté, l’accès à l’eau, la sécurité alimentaire, la paix et l’injustice. Nous invitons celles et ceux qui se sentent concerné-e-s à la signer et à participer à nos travaux. L’Association Femmes & Changement a participé à l’élaboration de documents de recommandations dans le cadre du « Comité Français pour la préparation du Sommet Mondial du Développement Durable à Johannesburg et à la Déclaration du Collectif d’ONG françaises « Jo’burg 2002 », documents auxquels nous nous référons également.

Collectif Jo’burg, 2002.

Introduction

Le Sommet Mondial pour le Développement Durable de Johannesburg a lieu 10 ans après celui de Rio, dans un contexte de mondialisation économique dirigée par les forces du marché libéral, qui a pour résultat de pérenniser l’exploitation incontrôlée des ressources, d’agrandir le fossé entre les riches et les pauvres, d’augmenter la pauvreté, les violences et la dégradation de l’environnement. Il risque d’entériner les difficultés, ou même le recul du poids des Etats, des Nations Unies et de la société civile qui ont participé aux grandes conférences durant les années 90, pour contrôler un système économique qui accentue la distribution non équitable des richesses et des moyens de production entre pays, groupes sociaux et genres, la surconsommation, l’usage irresponsable des ressources naturelles communes ou même la guerre. Dans le monde, au cours des années 90, les inégalités provoquent l’exclusion d’un nombre croissant de pauvres, en particulier des femmes. Ceci n’est pas le fruit du hasard mais celui de la domination de l’économique sur le social, entretenu par des discours attribuant au profit un statut d’objectif alors qu’il ne s’agit que d’un indicateur de moyens.
Dans cette logique d’exclusion, bien des indicateurs du « développement » sont biaisés. Cependant, leur multiplicité pose problème, tout comme le fait que beaucoup d’entre eux n’incluent nullement la perspective de genre. En effet, l’aveuglement à la situation des femmes et à leurs besoins est la cause de l’échec de très nombreux projets et d’une franche aggravation de la situation, non seulement pour les femmes, mais aussi pour leurs enfants, leur famille et les communautés.
Les femmes sont souvent dans une position plus défavorable que les hommes dans la distribution des richesses, ainsi que face aux pollutions, à l’épuisement des ressources ou aux décisions inadéquates dans les différents secteurs. L’appauvrissement des femmes, par exemple, a généralement des conséquences dramatiques en termes d’alimentation et de santé sur l’ensemble des personnes dont elles ont la charge. 
Le problème du système de la dette reste entier et l’on n’as pas fini de dénoncer l’impact des conditionnalités et ajustements structurels sur les PVD et principalement sur les femmes. Le recul des services publics collectifs, sous l’effet des politiques d’ajustement structurel, met en danger les progrès dont les femmes avaient pu bénéficier. Les privatisations menacent l’accès à des biens fondamentaux en fonction de critères de rentabilité financière et non sociale ou rendent à la famille, et en son sein aux femmes, des obligations de protection et de soins aux autres. Les femmes en subissent l’impact à plusieurs niveaux jonglant avec une augmentation de leurs charges de travail et des tâches ménagères, et la baisse de leurs revenus.
Par ailleurs le travail domestique des femmes continue à rester invisible dans les comptabilités nationales, ainsi que leur apports à la gestion collective de la communauté, à la production de services d’utilité sociale pour la préservation de l’espèce humaine, la conservation de l’environnement, de l’hygiène, de la santé, l’éducation des enfants, l’alimentation familiale ou la construction de l’habitat populaire et du tissu social.
En 1995, le travail domestique non rémunéré des femmes a été estimé par le PNUD à 11 000 milliards de dollars, c’est-à-dire presque la moitié du PIB évalué à 23 000 milliards. D’autres chiffres illustrent l’ampleur de la tâche sociale, pour tendre vers un développement équitable et durable.

Chiffres PNUD 2000, BIT 2000, Wistat 2001
Les 2/3 des 867 millions d’analphabètes adultes sont des femmes,
Les 2/3 des enfants non scolarisés sont des filles,
Plus de 30% des femmes sont confrontées à la violence domestique,

En Asie du Sud Est, 70 millions de femmes et d’enfants ont été victimes de trafic sexuel
sur les 10 dernières années, lors de la crise de 1998, 80% des 2 millions de personnes
ayant perdu leur emploi en Thaïlande étaient des femmes (CISL)

La paix et la justice

Ces deux éléments sont des préalables à un développement soutenable qu’il faut sans cesse réaffirmer. Ceci est d’autant plus important que la production et le commerce légal des armes augmentent, que l’accent est mis actuellement sur la production d’armement de plus en plus sophistiqué, augmentation que les grandes puissances justifient parla lutte contre le terrorisme tout en réduisant les dégâts causés par leur usage sur l’environnement et les populations à de simples « dégâts collatéraux ». Ce sont aussi surtout les femmes et les enfants qui les subissent et qu’on retrouve parmi les personnes réfugiées ou déplacées.

Environ 80% des 27 millions de réfugiés recensés sur la planète sont des femmes.

(Chiffres PNUD 2000, BIT 2000, Wistat 2001)

Ce sont les femmes qui subissent les viols de guerre, crime contre l’humanité, les viols de masse, les violences ethniques. Mais la majorité des militants pour la paix de partout dans le monde sont des femmes, à travers leur engagement elles ont prouvé que les femmes refusent d’être des victimes impuissantes, qu’elles ont un rôle fondamental dans la gestion et la résolution non violente des conflits, dans le remplacement d’une culture de guerre par une culture de la paix.
Nous devons regarder les budgets de nos Etats avec les yeux des femmes qui ont souffert et souffrent encore des conflits à travers le monde. Les femmes à Rio réclamaient déjà une réduction drastique des dépenses militaires avec une réallocation des ressources financières, technologiques, productives et humaines à des fins socialement utiles et non nocives pour l’environnement. 

Il faut introduire le thème de la paix, de la justice, l’histoire des luttes des femmes et des mouvements non-violents, comme matières à part entière dans les programmes scolaires.

A Johannesburg, nous demanderont l’arrêt progressif de l’armement des Etats et de toute production et vent d’armes. Nous demanderons une réforme des Nations Unies cohérente avec l’évolution du droit et des cours internationales et l’application de la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité qui assure la participation égale des hommes et des femmes dans la prévention et la résolution des conflits, le maintien et la conservation de la paix. Nous demanderons de mettre à disposition des ressources pour promouvoir les formes d’action des groupes des femmes comme les Mères de la Plaza de Mayo, Les Femmes en Noir en Palestine et dans les Balkans, les Mères des soldats russes, les groupes des femmes afghanes, pakistanaises, africaines, asiatiques qui font face aux guerres et aux conflits dans leurs régions.

Pauvreté et accès aux ressources

Si l’on prend l’exemple de la Mauritanie, de par les contextes socio-politico-économiques et par conséquent les niveaux de mobilisation, les problèmes sont les mêmes mais à des degrés variant d’un continent à un autre, d’un pays à un autre…Une large tranche de la population féminine de Mauritanie est encore analphabète (74%) et + de 53% n’a même pas accès aux soins médicaux les plus élémentaires. Donc pour les femmes, l’accès aux services de bases (santé, alphabétisation, nutrition, etc.…) demeure encore une priorité vitale.

Les femmes rurales ont de plus en plus de difficultés à être reconnues comme productrices agricoles : de cette non-reconnaissance de leur contribution, partent les autres problèmes comme le non-accès à la terre, aux intrants, aux formations, aux avantages sociaux (assurance-maladie, congés maternité, retraite…) et au crédit, dont les femmes ont tout autant besoin que les hommes, sinon plus.

En milieu urbain, elles sont plus touchées que les hommes par le chômage ou sont recrutées pour les emplois les moins bien payés et valorisés. Au sein de l’Union européenne le taux de chômage des femmes est 30% supérieur à celui des hommes. 33% seulement des chômeuses perçoivent une indemnité, contre 50% des chômeurs.

Dans les pays en développement elles assurent une bonne partie de la croissance du secteur informel, où la protection sociale est quasi inexistante. Les indicateurs prenant le ménage comme une unité de base cachent le fait que tous n’y ont pas le même niveau de vie ni la même consommation. Par ailleurs le nombre des femmes chefs de famille augmente sans cesse, surtout dans les villes et en particulier le Sud où ce taux peut atteindre 40 à 50% dans les quartiers populaires. Ces femmes dirigent surtout des familles monoparentales tandis que celles dirigées de façon traditionnelles par un homme sont presque toujours biparentales. Leurs charges sont donc très différentes et la féminisation de la pauvreté avance inexorablement.

Presque partout dans le monde les femmes travaillent plus que les hommes mais ont des revenus inférieurs. En 1999, selon les pays, les femmes salariées gagnaient 40% à 80% du salaire des hommes.
Elles fournissaient les 2/3 des heures totales travaillées, mais ne contrôlent que 10% du revenu mondial. Ce décalage est permis souvent par le manque d’application des règles et conventions de l’OIT, du droit du travail, doublé de l’iniquité du droit de la famille dans des pays où le statut des femmes en fait des inférieures. Cette situation d’infériorité et de dépendance personnelle permet une exploitation par le système économique libéral du travail des femmes et des enfants. En Amérique centrale, il y a plus de 1000 entreprises « maquiladoras » (sous-traitance d’assemblage de pièces) qui emploient 300.000 personnes, dont 70% de femmes.

Les migrations

La mondialisation économique et son contexte géopolitique postcolonial a fortement accru l’orientation et l’évolution des flux migratoires, les déplacements des personnes, des familles, des populations :

Des pays de la périphérie vers les pays du centre,
Des campagnes vers les établissements urbains,
Des centres des villes et villages vers les périphéries et les quartiers pauvres des villes, grandes et moyennes, métropoles, « mégalopoles » (centres de décisions stratégiques et lieux d’une nouvelle dualisation des revenus et des statuts). Ces flux migratoires sont plus forts à l’intérieur des continents des pays du sud (et de l’est) qu’entre le sud (et l’est) et le nord (et l’ouest). Les opportunités et les perspectives de meilleures conditions de vie sont évidemment plus nombreuses dans la migration vers les régions plus riches qui sont aussi les plus fermées. Nous assistons à une forte féminisation de ces migrations. Les femmes migrantes et en particulier les réfugiées sont les premières touchées par les différents aspects de ce phénomène. Elles se trouvent au centre des rapports sociaux de domination qui s’exercent entre les sexes, les classes et les différentes communautés, elles cumulent les discriminations et subissent une double oppression, une surexploitation, souvent le racisme, les violences sexuelles, l’esclavage domestique, la prostitution, la traite.

Les nations les plus riches du monde ont une politique commune de contrôle des flux migratoires et des frontières. Malgré les nécessités du marché du travail de ces pays dans le secteur des services, des emplois familiaux, dans le secteur de l’économie « informelle », les femmes migrantes restent souvent dans la précarité si non dans la clandestinité. Leur autonomie et liberté individuelles restent soumises aux conventions entre Etats (par rapport aux codes de statut personnel p.e.) et aux traditions patriarcales inégalitaires. Leur accès à la résidence et à l’emploi régulier reste lié à la condition d’épouse ou mère, sans droits propres. Leur droit à la citoyenneté, à la liberté de circulation est conditionné par la nationalité. Par ailleurs, la richesse des compétences et des savoirs, les potentialités des femmes migrantes, immigrées, réfugiées ne sont pas pleinement valorisées.

Dans les différentes trajectoires géographiques, sociales, de genre, des chances aux femmes migrantes ne peuvent être assurées que dans un contexte de droit à la libre circulation, à l’asile (notamment pour des raisons de violences, répression, persécution subies en raison de leur sexe ou de leur sexualité), dans la citoyenneté de résidence et l’autonomie économique et juridique. La lutte pour ces droits concerne chaque femme.

Il faut avancer vers une nouvelle conception d’attribution des terres, incluant les femmes et les jeunes. Il faut sécuriser la propriété et/ou l’usage de la terre et des ressources (notamment forestières, mais aussi en eau) sur le long terme pour les femmes.

Il faut renforcer le rôle et le pouvoir de l’organisation internationale du travail (OIT) pour imposer les droits économiques sociaux et culturels, à l’ensemble des pays et sanctionner leur non-respect par les entreprises et les Etats.

Insécurité alimentaire et biodiversité. Produire quoi, pour qui, comment ?

D’un côté, certaines techniques culturales régulièrement employées détruisent les sols, polluent l’eau et s’attaquent aux ressources nécessaires pour subvenir aux besoins des populations. De l’autre, des initiatives visant à rétablir/maintenir une diversité culturale, à restaurer des écosystèmes prouvent qu’une agriculture écologique offre une alternative. C’est une conception erronée, défendue par les pays industrialisés, de la « sécurité alimentaire du Tiers-monde » fondée sur la disponibilité de céréales, qui a contribué à l’érosion de la biodiversité. A travers le monde, une des stratégies de gestion du facteur risque (dû aux aléas climatiques) est de cultiver à la fois des plantes variées mais aussi diverses variétés pour chacune d’elles. De plus dans beaucoup d’agricultures paysannes traditionnelles, la plante cultivée n’est qu’un élément dans un tout comprenant la fumure, la lutte biologique contre les insectes, la gestion de l’eau, l’élevage. Les pratiques agricoles se sont développées en accord avec le climat, le degré de fertilité des sols, l’apport en eau … Mais l’introduction de la monoculture a miné cet équilibre.

Les femmes refusent que l’agro-industrie fasse « main-basse » sur la vie

Un mouvement se dessine pour enrayer cette perte de la biodiversité. Les femmes sont très présentes en Inde et au Bengladesh, dans les initiatives pour la conservation de la biodiversité in situ, qui cherchent à préserver les écosystèmes au sein desquels la diversité du vivant s’est développée. Ces projets sont ancrés dans la réalité des pratiques des communautés paysannes. Elles jouent un rôle crucial dans le développement de réseaux de distribution de semences et dans le maintien des traditions de la gestion de l’agro-diversité.

La convention sur la diversité biologique est pour les femmes un important traité. Elles ne s’y sont pas trompées comme le montre leur résistance à l’homogénéisation et leur opposition au renforcement des droits de propriété intellectuelle dans le cadre de négociations à l’OMC. Le protocole biosécurité est un des premiers accords internationaux sur l’environnement qui impose des règles contraignantes aux Etats signataires au même titre que l’OMC dans le domaine des échanges commerciaux. Le cadre général du protocole prévoit, au titre du principe de précaution, le droit des pays d’interdire l’entrée d’OMG sur un territoire pour se prémunir contre les risques sur l’environnement ou la santé humaine, mais les négociations bloquent sur les moyens de mise en œuvre !

Malheureusement, l’on constate que la dérive productiviste loin d’être stoppée, continue à dessiner une agriculture duale. On assiste même à une sorte de recolonisation à l’échelle internationale. Et ce n’est pas seulement vrai pour ce qu’il est convenu d’appeler les pays du Sud, mais également pour les pays d’Europe candidats à l’entrée dans l’Union européenne. Nombre de ces pays, comme la Slovénie, la Croatie, one encore en commun, une agriculture relativement extensive avec un faible recours à l’agrochimie ; des régions à forte biodiversité.

Ces pays ont à faire face non seulement à l’investissement étranger sans contrôle, aux impératifs de l’OMC et aux règles dictées par la Commission européenne (conditionnalités, ouverture de marchés, normes et homogénéisation des produits…) qui ne leur permettent pas de conserver ce qui ferait leur richesse dans un modèle de développement différent, basée sur une agriculture biologique, une pluriactivité et la valorisation des pratiques traditionnelles. Récemment, la Croatie s’est ainsi trouvée traduite devant l’instance des différents de l’OMC parce qu’elle veut préserver des territoires sans OGM !

Pour beaucoup de PVD se pose le problème de l’ouverture du marché national aux produits provenant de l’extérieur au détriment de ceux produits et/ou fabriqués sur place (blé, maïs, riz, légumes et fruits, lait, savon, meubles,…) sans parler de tous les risques qu’ils comportent (dioxine, OGM, etc.) sans aucun contrôle (date de fabrication et d’expiration, les conditions de conservation, les colorants et même les matières de bases, etc.), sans parler du préjudice porté aux producteur locaux et au savoir-faire traditionnel et féminin, en particulier. Les mesures de réductions des barrières tarifaires (instrument central de la libéralisation et objectif de l’OMC) ainsi que l’obligation d’accès minimal au marché (la partie des importations entrant à droits réduits est fixée à 5% – 4% pour les pays en développement) contribuent à renforcer la dépendance alimentaire extérieure.

Nous voulons des systèmes de reconnaissance des savoirs et savoir-faire des femmes, de leurs compétences et acquis, la mise en place d’actions positives dans toutes les situations de discrimination existantes fondées sur la différence des sexes.

Les décisions en matière de choix de production parce qu’elles touchent à la fois à la sécurité et à la souveraineté alimentaire ainsi qu’à la santé environnementale relèvent d’un choix de société et nécessitent un débat public. Les décisions en la matière ne peuvent être prises par les seuls agriculteurs ni les seuls politiques, ni par l’industrie chimique/génétique.

Afin d’atteindre une véritable sécurité alimentaire mondiale et locale, il est souhaitable de rééquilibrer les zones de production à l’échelle mondiale, en allant en sens inverse de la mondialisation, ce qui signifie réduire les monocultures et développer des productions adaptées au contexte et aux savoir-faire traditionnels, ceux des femmes notamment. La souveraineté alimentaire des pays est indispensable, et pour cela le droit de choisir ce que l’on produit, ce que l’on mange, ce que l’on importe est fondamental, tout comme le contrôle des ressources locales les plus importantes (terres, eau, semences…).

Le commerce en matière d’agriculture et d’alimentation doit se plier à des impératifs sociaux et écologiques. Nous disons non aux OGM et aux brevets sur le vivant, et réitérons notre conviction que la diversité biologique et les savoirs et savoir-faire traditionnels, notamment féminins, doivent être préservées et utilisés à bon escient, et non pas dérobés par les multinationales à leur seul profit.

L’eau

Aujourd’hui, l’eau est devenue un enjeu majeur pour l’ensemble des populations de notre planète, enjeu qui ne fera que s’accroître face aux phénomènes de raréfaction, pollution et de marchandisation auxquels est soumise cette précieuse ressource. Pour que demain, chacun puisse en disposer en quantité et qualité suffisante, il est primordial de considérer l’eau comme un bien public mondial et de veiller à ce que son accès reste un droit humain fondamental.

Dans les pays du Sud, ce sont les femmes qui, au quotidien en sont les principales gestionnaires et usagères. Ceci de par la multiplicité des tâches (consommatrices d’eau) qu’elles doivent assumer, pour elles-mêmes mais le plus souvent pour le groupe familial tout entier. Il s’agit des travaux domestiques (cuisine, lessive, toilette), mais également d’autres secteurs comme l’agriculture, l’artisanat ou la petite restauration. A ce titre, les femmes sont les premières victimes des problèmes de raréfaction, pollution, hausse des prix, conflits et carence pouvant survenir autour de l’eau. Ils se traduisent souvent pour elles par une surcharge de travail, lié à l’allongement de la distance et du temps d’approvisionnement ou des interruptions de leurs activités. En outre, lorsque les sources alternatives ne produisent pas une eau de bonne qualité, elles doivent soigner leurs familles à cause des maladies qui exigent des dépenses de santé difficilement surmontables.

Ainsi, les femmes du Sud connaissent souvent mieux que quiconque les besoins et problèmes locaux en matière d’eau, et pour cette raison, il est primordial qu’elles soient systématiquement consultées lors de la mise en œuvre de projets hydrauliques (qu’il s’agisse d’eau à usage domestique, agricole ou autre). Mais les reconnaître en tant qu’usagères ne suffit pas, il est impératif de les considérer comme actrices et gestionnaires à part entière du développement de leur communauté. Au même titre que les hommes, elles doivent être impliquées, à tous les niveaux, dans les processus de décision et de gestion : en participant à l’identification des besoins grâce à la mise en œuvre d’une approche participative sensible au genre ; en prenant part activement aux réunions et plus généralement aux prises de décision ; en recevant la formation et l’information adéquates, en s’impliquant de manière effective dans les structures de gestion technique et financière des ouvrages.

La répartition des rôles entre hommes et femmes peut évoluer. Certaines activités économiques liées à l’eau (comme le transport) sont parfois transférées des femmes aux hommes, notamment du fait que les femmes ne bénéficient pas toujours des innovations technologiques. Il est souhaitable que les femmes assument de nouvelles responsabilités au sein de leur communauté, d’autant plus s’il en va de la pérennisation et de l’efficacité des services.

Tout ce processus d’implication des femmes dans la gestion des ressources en eau, de par les remises en question qu’il suscite, nécessite de prendre un certain nombre de mesures, et de mobiliser les moyens humains et financiers adéquats. Ceci afin de développer une sensibilité, les connaissances et compétences nécessaires, et ce à tous les niveaux :

– Au niveau des professionnels du développement (agents de terrain, chercheurs, bailleurs), par des sensibilisations sur l’intérêt de l’approche genre dans les projets hydrauliques, par des formations sur les outils et méthodes à mettre en œuvre pour favoriser la participation des femmes, mais aussi prendre en compte leurs contraintes et besoins avant de concevoir les projets.

– Au niveau des populations, par des sensibilisations sur les impacts positifs de l’implication de tous, par des formations à la gestion technique et financière des ouvrages hydrauliques, ainsi que d’autres formation (alphabétisation notamment), adressées plus spécifiquement aux femmes, destinées à leur donner les compétences et la confiance en soi suffisante pour assumer pleinement leurs nouvelles fonctions.

– Au niveau budgétaire, en allouant des montants suffisants aux volets d’accompagnement des projets techniques, pour que les agents de terrain aient le temps d’exploiter réellement les outils leur permettant d’obtenir des données désagrégées par sexe (dans les phases tant d’identification que d’évaluation), de mettre en œuvre les actions nécessaires à la participation des femmes (animation, formation…), et de réaliser un suivi régulier après le projet.

Les femmes jouent un rôle capital dans la gestion et la préservation de l’environnement, et à ce titre au moins, elles doivent être consultées, écoutées et impliquées d’une manière bien plus conséquente qu’elles ne le sont aujourd’hui.

L’on devrait toujours commencer par « l’écoute des femmes » elles seules sont capables de tenir compte de contraintes qu’elles sont les seules à connaître au moment de l’élaboration d’un projet, même si ce projet se veut dans leur intérêt.

A un niveau plus global, associer les femmes, notamment celles issues de la base, dans les réflexions, le montage et le suivi des programmes environnementaux au niveau des Etats.

Santé environnementale

Les femmes sont directement affectées, comme personnes et pour certaines comme mères, par les questions de santé environnementale, non seulement parce qu’il s’agit d’un domaine qui les concerne traditionnellement, mais en plus parce qu’elles en ressentent les effets sur leurs corps et sur leurs vies. Les effets dévastateurs de la contamination nucléaire et de la pollution de l’air, de l’eau et de la terre par les POPs sont au cœur des préoccupations des femmes et constituent une menace frontale pour la durabilité du développement.
Les femmes sont doublement concernées par les pesticides, à la fois en tant que productrices agricoles et donc utilisatrices des pesticides hautement toxiques, et en même temps comme consommatrices, dont la santé est affectée lorsqu’elles consomment de l’eau ou de la nourriture contenant ces pesticides.

On a constaté depuis Rio, que les femmes sont souvent à la tête des organisations civiles qui se mobilisent pour avoir accès à l’information sur la pollution nucléaire ou chimique, ou qui, le cas échéant, produisent cette information et la diffusent largement, dans les langues et langages accessibles au plus grand nombre. Ce faisant, elles renforcent le tissu de la démocratie participative, souvent locale, et fomentent un nécessaire débat public sur la situation. Les recherches qui se sont développées dans le sillage de la conférence de Rio notamment, ont permis aux femmes de mettre en évidence les liens entre la pollution et le développement de nombreux cancers, notamment du sein et de l’appareil reproductif. Elles on également montré que les POPs produisent de graves troubles du système immunitaire et nerveux, ainsi que du système hormonal et reproductif des hommes et des femmes. Baisse de la fécondité, stérilité, fausses couches et malformations des enfants sont les résultats de la pollution chimique et nucléaire notamment, de même que les recherches prouvent qu’elle cause également des retards et des troubles de développement chez les enfants.

Les femmes s’impliquent dans les mouvements qui proposent de retrouver des savoir-faire traditionnels (cultures vivrières associées plutôt que monoculture d’exportation), ainsi que pour l’interdiction internationale des pesticides toxiques et plus généralement des POPs.

La création de centres de recherche indépendants des Etats et des entreprises responsables de ces pollutions est nécessaire, ces centres doivent être soutenus, tout en garantissant leur indépendance absolue. Les résultats de toutes les recherches, sensibles au genre, doivent être largement diffusées, la population doit être consultée et la société civile écoutée, notamment quand elle exige l’élimination des sources de pollution.

Nous refusons très fermement le discours des fabricants d’OGM qui souhaiteraient faire passer l’idée que grâce à eux, moins de pesticides seront utilisés.

Habitat

Les femmes ont directement intérêt au maintien et au développement des investissements sociaux et de logements, en particulier en milieu urbain, car toute détérioration de ces services les oblige à un surcroît de travail. Elles protestent contre le recul des investissements en infrastructures et services urbains. Elles s’opposent aux privatisations de ces services, qui augmentent les coûts sans qu’on constate d’amélioration des services (on constate même éventuellement des détériorations). Il y a également lieu de prévoir les mesures socio-économiques nécessaires pour accompagner ce droit afin de pouvoir conserver son logement. L’accès au logement et à la propriété du logement pour les femmes chefs de famille est une condition indispensable à l’amélioration de leur bien-être et celui de leur famille.

En Mauritanie, aucune attention n’est donnée à la dimension genre dans la politique du logement et les investissements qui la concernent. L’habitat demeure avant tout un problème d’hommes et le fait que 36.3% des femmes soient des chefs de ménages et que le taux de divorce soit de 44% ne change rien à la réalité dans ce domaine.

Le droit à la ville passe par la démocratie participative.
Le droit au logement est un droit humain.

Modes de production et de consommation

1 enfant des pays développés a un impact écologique équivalent
à celui de 30 enfants de pays en développement !

Des mesures doivent être prises de manière structurelle pour que les modes de production et de consommation, tant au Nord comme au Sud, aussi bien dans le monde rural qu’en ville, ne soient pas destructif pour l’environnement et la santé. Cela passe en premier par une réduction de la production et de la consommation dans les pays industrialisées.

Cela passe également par une transformation de l’attitude des citoyennes et citoyens et par un rééquilibrage de la prise de décision entre société civiles, Etats et entreprises, dans lequel les instances internationales ont un grand rôle à jouer. Cela signifie surtout des transformations économiques à grande échelle, tel le renoncement immédiat à la division internationale du travail en vigueur actuellement, l’arrêt du pillage des ressources du Sud par le Nord, du transfert des risques écologiques et de la pollution du Nord vers le Sud et de l’Ouest vert l’Est. Renvoyer à des problèmes de comportements domestiques individuels (notamment de consommation), dans une perspective somme toutes assez moralisatrice ne doit pas faire l’impasse sur les phénomènes structurels qui conduisent à la détérioration de l’environnement et à l’aggravation de la pauvreté –la mondialisation néolibérale et les politiques d’ajustement structurel- et sur les responsabilités, tant les multinationales que des Etats et des instances internationales.

Depuis Rio le développement de l’innovation technoscientifique dans la production a versé sur le marché des biens et services qui sont des produits de plus en plus difficiles à évaluer dans leur impact sur notre santé physique et mentale, sur la société et l’environnement. L’analyse critique que les femmes ont portée sur la science et la technologie demande une prise en compte éthiquement responsable des nouvelles technologies de reproduction et de biotechnologies, de la bio-médicine expérimentale en général, de la neurobiologie, le génie génétique.

A cette conférence, les femmes demandaient déjà « l’arrêt des recherches, du développement de la production et de l’utilisation du nucléaire et de l’extraction d’uranium et la cessation progressive de l’énergie nucléaire au profit de sources d’énergie non polluantes ». Où en est-on maintenant ?

Le principe de précaution doit guider toute décision qui peut avoir des conséquences sociales, environnementales et culturelles. Le rôle que les communautés locales jouent dans la gestion des écosystèmes doit être reconnu. Les femmes doivent pouvoir disposer des moyens et ressources nécessaires à leur pleine participation aux processus de prise de décision.

Nous souhaitons qu’à Johannesburg, nos gouvernants prennent des engagements en ce qui concerne l’accès « égalitaire » des femmes à la scolarisation, l’éducation, l’information, principalement dans le domaine technoscientifique. Que soit réaffirmé la volonté de promouvoir la présence des femmes dans la recherche et les activités liées aux innovations technoscientifique ainsi que dans la prise de décision dans les domaines biomédical, dans celui de la génétique et de la reproduction humaine.

Il faut donner suite aux nombreuses protestations des populations autochtones dont les territoires, les terres ancestrales et les cultures toutes entières sont gravement menacées ou tout simplement anéanties par l’exploitation pétrolière ou minière. Il est urgent de remédier à ces déprédations, motivées par l’appât du gain des multinationales et par l’usage inconsidéré et aberrant des ressources naturelles dans le cadre d’un système de production dévastateur.

Recommandations générales

Les femmes s’opposent à la privatisation de ressources naturelles publiques. Des ressources telles que l’eau doivent rester dans le domaine des biens communs de l’humanité et ne pas être détournées au profit de quelques uns.

Il faut soumettre les institutions financières internationales (Banque mondiale, Fonds monétaires international) au droit international des Nations Unis. L’organe de règlement des différends de l’OMC (ORD) doit respecter les droits humains et environnementaux avant de produire des arbitrages économiques (hiérarchie du droit).

Nous voulons

Que les institutions financières soient transparentes, contrôlables par la représentation nationale et comprennent un nombre de croissant de femmes aux postes de direction ;

Que les institutions financières soient transparentes, contrôlables par la représentation nationale et comprennent un nombre croissant de femmes aux postes de direction ;

Que les prêts de la Banque mondiale et des banques régionales soient assorties de contraintes de développement humain sur les indicateur du PNUD voire de l’UNIFEM ;

Que les transactions spéculatives soient taxées et que les fons ainsi dégagés soient à hauteur de 50% explicitement affectés à la réalisation hommes-femmes.

De même que pour d’autres conventions, comme celles sur la biodiversité, le climat, les droits humains et les droits des enfants, …il faut rappeler la nécessité pour tous les gouvernements de ratifier et de mettre en œuvre les textes suivants : stratégies prospectives pour l’avancement des femmes (Nairobi), la Convention de l’ONU pour l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes avec ses protocoles additionnels, la plate-forme d’action de Beijing et le document de Beijing +5, la résolution 317(4) de 1949 « Convention pour la répression de la traite des être humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui » et le nouveau Protocole additionnel à la Convention contre la criminalité transnationale des Nations Unies (2000) visant à « prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants » bien que ces convention doivent encore évoluer ultérieurement.
Le suivi des conventions ainsi que des systèmes de contrôle doivent faire partie intégrante et explicite de leur mise en œuvre. L’on constate hélas trop souvent que les conventions ne sont pas respectées.
La conférence de Rio dans sa déclaration en 1992 a fait une large part aux « forces vives » de la société civile, parmi lesquelles elle cite explicitement les femmes.

La reconnaissance du rôle de citoyen(ne)s s’accompagne depuis Rio de celle des outils d’une véritable participation : accès à l’information, étude d’impact, recours aux tribunaux. Malheureusement trop peu d’instances indépendantes existent. C’est dans cette optique que les femmes soutiennent la proposition d’une convention globale sur les droits environnementaux, basée sur le principe 10 (participation de tous les citoyens) de l’Agenda 21.

Les femmes veulent que leurs droits à légalité et à la sécurité soient respectés, que leur contribution invisible au bien-être collectif soit reconnue, que leur participation aux choix politiques soit organisée à tous les niveaux du local au global.

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