« Vive les IVG confortables ! »
« Vive les IVG confortables ! »
par Valérie Haudiquet, Maya Surduts, Dominique Boubilley, Béatrice Fougeyrollas, Maud Gelly et Emmanuelle Lhomme (Extrait du Journal Libération, 23/03/ 2012)
A notre grande surprise, l’avortement est devenu un thème de campagne. Malgré son ambition de dépoussiérer les thèses politiques de l’extrême droite, le Front national renoue avec la tradition réactionnaire et hostile aux femmes dont il est issu: ses dirigeants osent parler d’«IVG de confort», terme méprisant renvoyant à l’idée de femmes irresponsables et désinvoltes. Déjà, en 1975, les opposants à la légalisation de l’avortement agitaient ce fantasme pour empêcher la reconnaissance de leur droit à disposer de leur corps. Pire: le Front national envisage de dérembourser ces IVG, remettant en cause un droit fondamental. Il y a toutes sortes de raisons pour décider de faire interrompre sa grossesse, et il n’appartient à personne d’autre qu’à la femme concernée de juger de leur légitimité.
Nous, praticiennes de l’IVG et militantes pour les droits des femmes, n’avons jamais vu d’«IVG de confort». En revanche, nous constatons que les conditions dans lesquelles les femmes sont reçues en vue d’un avortement, ainsi que les conditions de travail des professionnels de l’IVG, sont de plus en plus inconfortables. Les centres d’IVG ferment les uns après les autres du fait des réorganisations hospitalières décidées par les agences régionales de santé. Il en résulte pour chaque structure une augmentation de la charge de travail, qui dégrade la qualité de l’accueil des femmes. Les hôpitaux, quand ils ne refusent pas tout simplement d’embaucher de nouveaux praticiens pour réaliser les IVG, les recrutent et les payent dans des conditions indignes et dérogatoires au droit du travail. Aujourd’hui, le droit à l’avortement a deux adversaires: la politique de démantèlement de l’hôpital public, et les opposants historiques au droit des femmes, qui ne désarment pas. Ainsi le siège social de l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception (ANCIC) vient de faire l’objet d’un attentat à l’explosif, non revendiqué.
Hollande promet… l’application de la loi de 1979
Dans ce contexte, les propositions de François Hollande nous semblent aller dans le bon sens, à condition qu’elles ne restent pas lettre morte. Nous nous souvenons amèrement d’un autre 8 mars, lors duquel Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, avait promis la revalorisation du tarif de l’IVG… que nous attendons toujours. Aujourd’hui, François Hollande promet un centre d’IVG dans chaque hôpital, ce qui n’est rien d’autre que l’application de la loi de 1979 sur l’IVG. Il promet aussi le remboursement de l’IVG à 100%, ce que revendiquent depuis toujours les associations féministes car c’est une garantie de l’accès de toutes à l’avortement. Il est grand temps que, pour le système de santé, l’IVG soit un acte médical comme un autre. L’IVG doit donc être intégrée à la nomenclature des actes médicaux, et son tarif doit évoluer comme celui des autres actes médicaux, afin de mettre fin au désengagement des établissements vis-à-vis de cette activité actuellement non rentable. Cette réforme tarifaire ne doit pas alourdir la charge financière pour les femmes. Elle doit s’accompagner d’un remboursement à 100% par l’assurance maladie, comme c’est le cas pour tous les actes médico-chirurgicaux dont le tarif le justifie.
Pour garantir l’accès à l’avortement et à la contraception, les pouvoirs publics doivent satisfaire les revendications incluses dans le manifeste « Les structures que nous voulons pour l’IVG », porté par la CADAC, le Mouvement français pour le Planning familial et l’ANCIC. Nous voulons des structures intra ou extra hospitalières avec des locaux spécifiques, un budget dédié, des personnels dédiés et volontaires. Il faut se donner les moyens de recruter et de former des professionnels. La résurgence d’un vieux fond idéologique hostile au droit à l’avortement souligne que la pratique des IVG doit rester sous la responsabilité de personnels volontaires. Le recrutement et l’évaluation des candidatures doit donc faire partie des prérogatives de l’équipe du centre d’IVG, plus apte que la direction de l’hôpital ou le chef de pôle à juger de l’adéquation de la formation des candidats.
La pratique des IVG doit rester ouverte aux médecins généralistes. Alors que ce sont des généralistes qui ont ouvert les premiers centres aux lendemains de la légalisation de l’avortement en 1975, la tendance actuelle est à les écarter pour récupérer au profit des services de gynécologie-obstétrique les moyens jusqu’alors attribués aux structures IVG. Les personnels des centres d’IVG doivent avoir un CDI et leur salaire doit évoluer comme celui de leurs collègues hospitaliers. Cela semble aller de soi, mais ce n’est pourtant actuellement pas le cas. Les établissements de santé doivent pouvoir offrir aux personnels les moyens de leur formation. Leur statut doit inclure des fonctions d’enseignement et de recherche. Ceci permettra de répondre à la demande en augmentant le nombre de structures et de les pérenniser pour enfin réaliser les IVG de façon confortable pour les femmes.
(Extrait du journal Libération, 23 mars 2012)