Edito avril 2012
Tunisie : Démocratie et droits des femmes
A Tunis, le 8 mars 2012, féministes et progressistes ont massivement envahi les rues pour envoyer un signal fort au gouvernement de transition et pour réaffirmer leur exigence de constitutionnalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes et du code du statut personnel qui, en garantissant aux Tunisiennes des droits presque identiques à ceux des Européennes, a profondément transformé la société. (30 % des femmes sont salariées, 55 % des étudiants sont des étudiantes).
Aujourd’hui, les Tunisiennes ont-elles quelque chose à perdre ? Pionnière des révolutions arabes en 2011, la Tunisie a suivi depuis un parcours qui, malgré d’indéniables tensions politiques et sociales, contraste avec les évolutions heurtées et violentes de la Libye et de l’Egypte. Lors des manifestations, les femmes ont été présentes et visibles, sauf en Libye. Dans la guerre contre Khadafi, elles ont été marginalisées par de jeunes islamistes qui ont joué un rôle prépondérant au nom de « Dieu est grand ». Rien de semblable en Tunisie où ces islamistes ne se sont pas manifestés. Cependant, les élections marquées par l’arrivée en force des tenants d’un islam politique a jeté le trouble et divisé la société. Au début, Ennhada, arrivé en tête, avait assuré qu’il n’était pas question de toucher aux droits des femmes. Mais, depuis, on assiste à quelques revirements, en particulier concernant le mariage et l’adoption. Autre sujet d’inquiétude et de division, la présence active des forces salafistes, tenants d’un islam rigoriste, très conservateur, et qui s’inscrit dans une perspective d’affrontement. A plusieurs reprises, ils ont agressé les lieux symboles du savoir, la mixité, la place des femmes dans l’espace public.
Cependant, il faut rappeler que la pratique et le discours islamistes varient énormément selon les dynamiques sociales et politiques de chaque pays et selon le statut juridique des femmes. Ainsi, en Arabie Saoudite, les islamistes radicaux font de la surenchère par rapport au pouvoir, alors que les femmes n’ont même pas le droit de vote. En Tunisie, les mouvements islamistes radicaux sont perçus par une bonne partie de la population comme étrangers à l’historique moderniste du pays et souvent marqués par l’influence grandissante de la Péninsule Arabique. En février, la présence d’un prédicateur égyptien (invité par quatre associations islamistes tunisiennes), prônant une Tunisie islamique et justifiant les violences contre les femmes, a déclenché une nouvelle bataille et divisé le pays. Deux plaintes ont été déposées contre lui devant le tribunal de première instance de Tunis.
Dans l’actuelle phase de transition où les débats sont exacerbés par la rédaction d’ici un an de la future Constitution, la plus grande vigilance s’impose. 28 associations féministes et associations des droits humains ont déposé un projet revendiquant « la promotion des droits des femmes et leur protection ». Ces propositions ont pour but de « mettre définitivement un terme à l’instrumentalisation politique et religieuse » de ces droits. Les quatorze articles du texte tendent tous vers un même but : obtenir l’égalité effective entre les femmes et les hommes. De son côté, le Réseau Européen des Droits Humains a soutenu que « le référent arabo-musulman ne doit pas être une source de législation ».
Ce qui caractérise le mouvement féministe tunisien, c’est qu’il a toujours affirmé que la place et les droits des femmes ne peuvent progresser que dans le cadre d’une séparation des domaines politique et religieux. Leur exigence d’égalité pose clairement la question de la nature de la démocratie qui ne saurait se limiter à l’élection de représentantes et représentants de la Nation. La démocratie est une activité, un mouvement sans fin.
Marie-Josée SALMON.