Sur le site de Basta, Présidentielle 2012 : la valeur « travail » vue par la gauche et la droite
Présidentielle 2012 : la valeur « travail » vue par la gauche et la droite
Par Ivan du Roy (16 avril 2012)
Le slogan « travailler plus pour gagner plus » avait marqué la campagne présidentielle de 2007. Cinq ans plus tard, la question du travail s’est estompée au profit de la notion de « compétitivité ». Mais qu’en est-il des salariés, de leurs conditions de travail, de l’état de la démocratie sociale, du droit à la retraite, d’une nouvelle portée émancipatrice du travail face au mal-être qui se répand ? Notre entretien croisé entre le ministre du Travail, Xavier Bertrand, et des représentants de François Hollande, de Jean-Luc Mélenchon et d’Eva Joly révèle deux visions inconciliables.
Dégradation du travail à cause de la crise, augmentation de l’âge de départ à la retraite, représentation des salariés dans l’entreprise, travail en souffrance dans le privé et le public… Ces questions ont été posées à quatre représentants des candidats : le ministre du Travail, Xavier Bertrand, pour Nicolas Sarkozy, le député socialiste Alain Vidalies, en charge des questions sociales auprès de François Hollande, la députée européenne écologiste Karima Delli, membre de la Commission des affaires sociales du Parlement européen et proche d’Eva Joly, la députée et coprésidente du Parti de gauche Martine Billard pour Jean-Luc Mélenchon [1].
Basta ! : Les conditions de travail se dégradent, un mal-être au travail s’ajoute aux pénibilités classiques. Pourtant, la réflexion sur le travail n’est présente dans le débat électoral que sous la forme d’une demande, principalement du patronat, d’une baisse du coût du travail. Comment liez-vous de votre côté travail et sortie de la crise ?
Xavier Bertrand (UMP) : La valeur travail est au cœur des propositions de Nicolas Sarkozy. Travailler plus ne va pas sans travailler mieux, et c’est le sens de la politique de revalorisation du travail que nous menons depuis 2007. Le 2e Plan santé au travail, qui fixe les orientations pour améliorer les conditions de travail, constitue notre feuille de route pour 2010-2014. Il est le fruit d’une longue phase de concertation et de dialogue avec tous les acteurs de la santé au travail comme avec les partenaires sociaux. C’est aussi tout le sens de la réforme des services de santé au travail que nous avons menée. Les lignes directrices sont claires : promouvoir la qualité des emplois, prévenir la pénibilité, préserver l’intégrité physique et psychique de chacun. Toutes les mesures que nous souhaitons mettre en place pour surmonter la crise durablement et accroître la compétitivité de notre pays, que ce soient les accords compétitivité emploi, la réforme de la prime pour l’emploi ou encore le développement de l’accès à la formation, poursuivent un double objectif équilibré : donner plus de souplesse aux entreprises pour leur permettre de se développer et garantir davantage de sécurité pour les salariés
Karima Delli (EELV) : Le patronat et les libéraux font une erreur grossière en se focalisant sur la baisse du coût du travail. Ils sont obsédés par la compétition vis-à-vis des puissances émergentes, et prisonniers du carcan idéologique du libre-échange absolu. Ils sont prêts à sacrifier notre droit du travail, sur la base d’une vision tronquée. Les accords compétitivité emploi négociés début 2012 entre patronats et syndicats mettent inutilement en danger les droits des travailleurs. Ils équivalent à renverser la priorité donnée actuellement par la loi au contrat individuel, qui ne peut être en deçà de l’accord collectif en cas de modification du contrat. C’est le même problème avec l’idée qu’il faut baisser le Smic pour créer de l’emploi. Il s’agit d’améliorer la compétitivité prix, en multipliant les bas salaires. Problème : c’est une recherche de compétitivité qui nivelle par le bas, et qui n’incite pas à investir dans l’innovation. Il vaut mieux essayer d’éliminer les trappes à bas salaires en permettant une meilleure progression du salaire tout au long de la vie. Il faut également agir pour augmenter les taux de syndicalisation, si on veut permettre aux partenaires sociaux d’établir des accords favorables à l’emploi et au travail. Un autre lien entre travail et sortie de crise, c’est agir contre la précarisation croissante des contrats de travail. Cette fragilisation des travailleurs, et donc de leurs familles, ont nourri une crise sociale, qui a elle-même nourri la crise financière avec l’implosion du système des subprimes aux États-Unis.
« Le patronat et les libéraux font une erreur grossière en se focalisant sur la baisse du coût du travail » (Karima Delli, EELV)
Martine Billard (FG) : Les attaques sont les mêmes dans tous les pays d’Europe. Casser les conventions collectives, comme en Italie, en Espagne, ou encore en Grèce, où elles sont suspendues. Sans convention collective, le salarié se retrouve isolé face au patron. Celui-ci peut faire ce qu’il veut. En France, depuis 2002, on assiste à une inversion de la hiérarchie des normes : la loi assurait un cadre minimal, les accords interprofessionnels, les conventions collectives et d’entreprise ne pouvaient que lui être supérieurs. Avec la loi Fillon de 2004, les accords d’entreprise et d’établissement peuvent être inférieurs aux accords de branche. Désormais, l’objectif du Medef est de sortir le temps de travail et le Smic de la loi et de les renvoyer aux accords d’entreprise. L’autre aspect, c’est la précarisation du statut de salarié avec le développement de l’intérim, du statut d’autoentrepreneur ou les modifications progressives du CDI, avec les contrats de mission par exemple. Enfin, les licenciements sont facilités. Dès 2002, la majorité de droite a supprimé la réintégration de droit en cas de licenciement abusif. Et la mise en place de la rupture conventionnelle est une catastrophe pour les salariés âgés.
Alain Vidalies (PS) : La question de l’emploi et des conditions de travail est majeure. Il y a bien eu un début de débat sur la compétitivité, mais il est dommage qu’il se soit arrêté. Car, pour l’équipe de Nicolas Sarkozy, c’est le coût du travail qui pose problème. Et si leur diagnostic est faux, leur ordonnance sera inefficace. La question de la compétitivité est pour nous davantage liée aux problèmes que rencontrent les PME, à la capacité d’innovation ou aux choix des produits que nous fabriquons. L’étude de l’Insee sur les salaires montre que les salaires pratiqués dans l’industrie automobile en France sont inférieurs de 20 % à ceux pratiqués par l’industrie automobile en Allemagne. Pourtant, les gens achètent toujours des voitures allemandes ! Ce n’est donc pas un problème de coût du travail.
Dans son livre blanc sur les retraites publié en février, la Commission européenne recommande d’allonger la durée du travail en proportion de l’espérance de vie. Qu’en pensez-vous ?
Xavier Bertrand : C’est le sens des réformes des retraites que nous avons menées en 2003 et 2010 ; elles étaient absolument nécessaires pour préserver notre pacte social et notre système par répartition. Nous ne pouvons pas ignorer le vieillissement de la population française, au contraire, nous devons l’assumer. Nous vivons beaucoup plus longtemps et c’est une bonne nouvelle, nous devons donc travailler un peu plus longtemps. La réforme, je le rappelle, répond à deux exigences : être responsable et être juste. Être responsable en disant aux Français que si l’on veut mettre fin au déficit de nos régimes de retraite et préserver notre système par répartition pour les générations futures, travailler plus longtemps est incontournable. Et c’est une réforme juste, que ce soit sur l’effort demandé aux salariés du privé, comme aux fonctionnaires, sur la prise en compte des carrières longues ou de la pénibilité. Le Parti socialiste a refusé aveuglément, systématiquement, toutes les avancées que nous avons proposées pour assainir nos finances publiques et garantir ainsi les retraites des générations futures. Aujourd’hui, François Hollande entretient intentionnellement le flou. Sa proposition de partir à 60 ans quand on a toutes ses années de cotisations sera financée, nous dit-il, par une hausse des cotisations retraite salariales et patronales : cela pénaliserait particulièrement les classes moyennes. La proposition de M. Hollande est vraiment tout sauf une mesure de justice sociale : elle diminuerait le pouvoir d’achat des salariés, pénaliserait notre compétitivité du travail, ferait peser sur les jeunes le financement de notre système de retraite, serait profondément défavorable aux femmes et injuste pour les assurés ayant connu des périodes de maladie ou de chômage.
Karima Delli : L’objectif de la Commission européenne est purement budgétaire : il s’agit d’économiser sur le versement des droits à la retraite. Adopter cette approche grossièrement comptable est très grave ! Les systèmes de retraite sont au cœur de notre modèle social, puisqu’ils sont liés à l’emploi, à la protection sociale, à la solidarité entre générations, à l’impôt… La Commission européenne doit faire sauter ses ornières idéologiques et réellement se concentrer sur l’intérêt général des citoyens européens. Sa proposition se heurte à deux écueils. La Commission oublie d’abord que c’est l’espérance de vie en bonne santé à laquelle il faudrait s’attacher. Penser que l’on peut demander aux travailleurs de continuer au-delà de 60, 62 ou 65 ans alors qu’ils sont malades, c’est une ineptie, doublée d’une faute morale. Le deuxième écueil concerne les différences d’espérance de vie entre catégories socioprofessionnelles. Sept ans : c’est, à 60 ans, la différence d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre. Si, dans de nombreux États membres, l’âge de la retraite officiel est fixé à 65 ans, la moyenne d’âge européenne de cessation d’activité (âge de départ effectif) reste aux alentours de 61,5 ans. La Commission oublie qu’avec les difficultés d’emploi dans les États européens, relever l’âge de départ à la retraite ne servira qu’à transformer de jeunes retraités en vieux chômeurs ! La Commission souhaite la suppression des dispositifs de départ anticipé en retraite. Ces dispositifs, liés à la pénibilité des carrières, sont un outil de justice sociale fondamentale. Et il faudrait s’en débarrasser en plein cœur d’une gigantesque crise sociale ?
« Les réformes des retraites étaient absolument nécessaires » (Xavier Bertrand, UMP)
Martine Billard : Réduire le temps de travail est une nécessité. L’objectif n’est pas de produire plus, mais de produire en fonction des besoins. Cela ne passe pas par une augmentation du temps de travail, ni à la journée, ni au mois, ni à l’année, encore moins sur la vie. En Allemagne, l’augmentation du temps de travail a fait baisser l’espérance de vie des salariés les plus mal payés. Le Front de gauche prône le retour de la retraite à 60 ans, avec comme minimum le Smic ou 75 % du salaire. La durée de cotisation fait pour l’instant débat.
Alain Vidalies : Nous acceptons pour le moment de conserver les 41 puis 41,5 annuités de cotisation pour tenir compte de l’allongement de la durée de vie. Il y a cependant un préalable impératif à tout nouveau débat sur les retraites : traiter de la différence d’espérance de vie sans incapacité entre ouvriers et cadres. Cette inégalité est une réalité : aujourd’hui, le gouvernement fait payer la retraite des cadres par les ouvriers ! Nous devons prendre en compte les pénibilités qui diminuent l’espérance de vie des ouvriers : le travail posté, le travail de nuit, l’exposition au bruit et aux produits dangereux, le port de charges lourdes… C’est le préalable pour rétablir une loi juste.
Faut-il, selon vous, réviser les lois Auroux en donnant plus de pouvoir aux institutions représentatives du personnel et quelles mesures concrètes prévoyez-vous le cas échéant ?
Alain Vidalies : Revisiter les lois Auroux est une nécessité. Nous constatons les dégâts que causent certaines formes de management à l’intérieur des entreprises, comme l’illustrent les suicides à France Télécom et ce qui se passe aujourd’hui à La Poste. Un management qui prône l’individualisation des tâches et des objectifs, et provoque l’isolement des salariés. La réponse est la modification de ces formes de management et toute une série de mesures pour redonner la parole aux salariés. Quatre millions de salariés ne disposent pas de représentativité, en particulier dans les entreprises de moins de 10 employés. Nous proposons donc de mettre en place des outils de représentativité par bassin d’emploi. Il est nécessaire que les représentants des salariés siègent au sein des conseils d’administration et au sein des commissions de rétribution des dirigeants. Nous proposons également l’élection directe des membres des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), et de leur donner de nouveaux pouvoirs, en particulier sur la question des objectifs. L’impossibilité pour certains salariés de parvenir à remplir les objectifs fixés par le management peut être dévastatrice. Les salariés auront donc la possibilité de déposer un recours auprès du CHSCT pour que ses élus contrôlent ce qui se passe. Ce sont des éléments qui pourront ensuite servir si le salarié souhaite saisir les prud’hommes.
Xavier Bertrand : J’ai moi-même porté en 2008 la réforme de la représentativité syndicale, une réforme sans précédent depuis l’après-guerre qui remodèle en profondeur notre démocratie sociale et renforce la légitimité des organisations syndicales. Ainsi, désormais, ce sont les salariés et eux seuls, à travers les élections, qui déterminent qui peut négocier en leur nom et quels accords peuvent s’appliquer. Je pense qu’il nous faut ouvrir une nouvelle étape dans la démocratie sociale. Les partenaires sociaux discutent depuis le 22 juin 2009 des instances représentatives du personnel. Il y a eu près de 20 réunions. Il faut maintenant avancer. Il y a parfois huit niveaux d’instances et une redondance dans les consultations du comité d’entreprise et du CHSCT, une articulation entre négociation et consultation imparfaite, des budgets différents et des règles très détaillées ! Nous devons rendre la représentation du personnel plus efficace, plus lisible, avec des règles plus simples. C’est un des chantiers sur lesquels il faudra aboutir. C’est pourquoi Nicolas Sarkozy propose qu’on ait, dans les entreprises de 50 à 300 salariés, une seule instance de concertation, le comité des salariés et des conditions de travail, qui remplace le délégué du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène et de sécurité.
« Un droit de veto suspensif en comité d’entreprise sur les plans sociaux » (Martine Billard, FG)
Karima Delli : Faute d’espace, les conflits au sein des entreprises ne trouvent pas d’issue. La norme formelle portée par la direction s’oppose au mode d’engagement personnel du travailleur. Le salarié est personnellement mis en cause, ce qui produit potentiellement du harcèlement moral. La façon dont le travail est organisé est masquée, et ne peut donc être interrogée. Pourtant, la discussion permet aux salariés d’affûter leurs capacités d’expertise sur le travail et son organisation. Cette prise de conscience recrée des liens et des solidarités. L’expérience concrète des contradictions permet d’ouvrir de réelles perspectives. La dimension clé est donc la démocratie, puisque le travail voit s’affronter les questions centrales de nos sociétés : les tensions sociales et celles du marché. Développer la démocratie sur le lieu de travail permet de redonner du pouvoir au politique face au financier. Je suis donc persuadée du bien-fondé de la réactivation du « droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail » [2]. Il faut aussi renforcer le pouvoir des institutions représentatives du personnel : comité d’entreprise, CHSCT, et délégués du personnel. Les représentants des salariés doivent être associés à la décision avec 50 % de représentants au conseil d’administration, comme c’est le cas en Allemagne. Il faut aussi créer des CHSCT de site – dans une centrale nucléaire, par exemple. N’oublions pas la nécessité de renforcer les prérogatives des CHSCT du secteur public pour les mettre au même niveau que ceux du privé.
Martine Billard : Nous proposons un droit de veto suspensif en comité d’entreprise sur les plans sociaux, l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui dégagent des bénéfices et la réintégration de droit du salarié qui le souhaite en cas de licenciement jugé abusif. Nous souhaitons renforcer le pouvoir des CHSCT, et permettre leur représentativité sur des sites ou des entreprises comptant moins de 50 salariés. Et il faut bien évidemment recruter davantage de médecins du travail.
Le travail souffre, y compris au sein des institutions de l’État et des services publics (suicide récent d’un inspecteur du travail, malaise au Pôle emploi ou à La Poste…). Quelle est votre analyse de ce mal-être et quelles mesures comptez-vous prendre pour en finir ?
Martine Billard : La souffrance au travail n’est pas un problème de fragilité individuelle. Du coup, y répondre par des dispositifs d’aide psychologique est loin d’être satisfaisant. C’est un problème lié à certaines formes d’organisation du travail, à l’intensification des tâches, aux injonctions paradoxales : les directions demandent aux salariés de bien faire le travail, mais de le faire vite et à moindre coût. Les salariés sont pris entre deux feux : le client ou l’usager et leur employeur. Cette situation devient intenable : recours à des médicaments antidépresseurs, problèmes physiques… Nous devons remettre en cause ces organisations du travail et recréer du collectif face à l’isolement des salariés pour qu’ils se réapproprient ensemble cette question. En finir avec l’intensification du travail, cela signifie réembaucher et restreindre la proportion de contrats précaires, CDD ou en intérim : pas plus de 5 % des emplois dans les grandes entreprises, pas plus de 10 % dans les PME. Limiter le nombre de niveaux de sous-traitance est aussi nécessaire, tout en rendant le donneur d’ordres plus responsable. Dans les services publics, nous devons arrêter la RGPP (réforme générale des politiques publiques). Les agents qui sont en contact avec la souffrance sociale de la société doivent avoir les moyens d’y répondre. Les lois sociales changent très vite et sont très complexes. Les fonctionnaires n’ont pas le temps de se former et commettent des erreurs face à l’usager. Il y a également un problème avec la culture du secret dans la Fonction publique qui est insupportable. La transparence, notamment sur les aides et les prestations sociales, doit être instaurée.
Xavier Bertrand : La mort volontaire d’hommes ou de femmes est toujours un drame dont on se dit, à tort ou à raison, qu’il aurait sans doute pu être évité. Au-delà de ces drames, l’accélération des rythmes de travail, la modification fréquente des organisations, la concentration de l’activité sur certaines tranches d’âge peuvent contribuer au développement de nouveaux risques comme les risques psychosociaux ou les troubles musculo-squelettiques. Dans la période de mutation et de crise économique que nous vivons, où les entreprises et leurs salariés, mais aussi les administrations, sont particulièrement sous tension, nous devons redoubler de vigilance pour éviter une dégradation de la santé et du bien-être au travail. L’erreur serait de considérer que cette question est secondaire face à l’enjeu de préservation de l’emploi, alors que les deux sont profondément liés. Accompagner les entreprises et les institutions dans leur démarche de prévention, c’est aussi sensibiliser les branches professionnelles. C’est enfin rappeler l’importance du dialogue social à tous les niveaux. Pour mieux prévenir les risques, la mobilisation de tous, chefs d’entreprise, DRH, représentants du personnel, médecins du travail, ergonomes, préventeurs… est incontournable. Le 2e Plan santé au travail cible justement les risques psychosociaux parmi les trois catégories de grands risques privilégiés, avec les risques chimiques et les troubles musculo-squelettiques. De réels progrès ont été accomplis en matière de prévention et de protection de la santé et des conditions de travail des travailleurs. Ce qui s’applique à l’entreprise s’applique également à l’administration avec l’accord signé le 20 novembre 2009 pour la Fonction publique [3].
« Aujourd’hui, le gouvernement fait payer la retraite des cadres par les ouvriers ! » (Alain Vidalies, PS)
Alain Vidalies : La souffrance au travail est le résultat de la diminution et de la pénurie de personnel, mais aussi de l’adoption par certains services publics de méthodes de management dont on connaît déjà les dégâts dans le privé. La question du renforcement du contrôle des salariés, notamment sur les objectifs qui leur sont fixés, via les instances de représentativité du personnel, se pose aussi dans le service public. Nous remettrons en cause la RGPP et la diminution des personnels. L’idée de faire mieux avec beaucoup moins est peut-être une bonne idée du point de vue technocratique, mais c’est une catastrophe sur le terrain et dans les services.
Karima Delli : La norme managériale est abstraite, préfabriquée, répétitive, facile à expliciter. En face, le travailleur ne se limite pas à l’exécution de tâches. Il marque de son empreinte son travail. C’est l’expression singulière de son expérience, de sa personnalité, de sa sensibilité et de ses valeurs. Une transition écologique de nos sociétés nécessite de se ressaisir du travail, car il s’agit d’une institution majeure de l’humain, même si les cadres économique et politique sont également importants. L’une des réflexions phares consiste à renouveler la façon dont le travail est organisé. Une mauvaise organisation du travail est facteur d’anxiété et de stress : horaires à rallonge, échanges de mails professionnels en dehors des heures de travail, objectifs irréalistes, entretiens d’évaluation anxiogènes… D’autre part, la taylorisation dans le secteur tertiaire conduit les individus à perdre le contrôle du processus de production, ce qui a des conséquences négatives sur leur bien-être au travail. Il s’agit de réhabiliter l’apport positif de la coopération et du travail collectif. Le sentiment de faire du « sale boulot » est lourd psychiquement, c’est une source de honte, et la honte ne se partageant pas, l’isolement de chacun est renforcé. D’autre part, une mauvaise organisation du travail et son évaluation gestionnaire entraînent la formation de méthodes de dissimulation stériles. L’organisation du travail est aujourd’hui fortement influencée par la gouvernance d’entreprise, c’est-à-dire par les rapports qu’entretiennent le management d’une entreprise, les actionnaires et les salariés. Cette gouvernance d’entreprise a évolué de manière malsaine sous la pression de la financiarisation de l’économie, car elle implique souvent une réorganisation brutale du travail (souvent menée par des fonds d’investissement). Comment inverser la tendance ? Réformer les normes comptables internationales, réformer le droit des sociétés, renforcer le rôle des instances représentatives du personnel, et lier la rémunération des dirigeants aux performances à long terme de l’entreprise.
Recueilli par Ivan du Roy