« Femmes, féminisme et sport : contre des inégalités qui viennent de loin »
« Femmes, féminisme et sport : contre des inégalités qui viennent de loin »
Monique Dental, Réseau Féministe « Ruptures »
Quelques points de repères historiques
Les Jeux Olympiques modernes (1896) conçus par Pierre de Coubertin avaient exclu la participation des femmes, en dehors de quelques disciplines considérées comme accessoires (golf, tennis, yachting …). Grâce notamment à l’obstination d’Alice Milliat, nageuse, rameuse et dirigeante sportive hors pair, les femmes furent enfin admises à concourir en athlétisme en 1928. Depuis, une longue bataille a été engagée pour voir augmenter à la fois le nombre des participantes (29 % du total en 1992 à Barcelone, 42 % en 2008 à Pékin) et le nombre de sports ouverts aux femmes aux JO. A Londres, prochainement, un nouveau verrou sautera avec l’admission de la boxe féminine.
Ces chiffres globaux, même s’ils représentent un progrès, masquent cependant la persistance des inégalités. Par exemple, aux JO de Pékin en 2008, le nombre d’athlètes masculins était supérieur de 1704 à celui des athlètes féminines et 165 médailles ont été remises aux hommes contre 127 aux femmes.
Le droit à la pratique sportive est constitutif des grands combats féministes dans le passé, car il participe du droit fondamental des femmes à disposer de leur corps.
Les luttes des femmes et des associations féministes pour une réelle visibilité des femmes dans le sport ne sont pas récentes.
Dans les années 1960, la Commission Femmes de la FGDS (Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste), l’anti chambre du PS d’aujourd’hui, animée par Yvette Roudy à l’époque avait déjà relevé cette question.
Les ONG féminines et féministes qui ont participé à la 3ème Conférence mondiale sur les droits des femmes de Nairobi, en 1985 organisèrent des ateliers pour prendre des positions sur ce sujet dans un souci d’égalité.
Dès 1992, le Comité Atlanta +, association féministe, issu de la Ligue du Droit International des Femmes, dénonça l’absence de femmes de 35 délégations aux JO de Barcelone, faisant remarquer que l’Afrique du Sud avait été exclue pendant 30 ans pour cause d’apartheid racial. Pourquoi l’apartheid sexuel n’a-t-il pas mérité le même traitement ? Sous la pression exercée par le Comité Atlanta + le nombre de délégations sans femmes est passé de 35 à 3. Pourquoi tolérer encore la participation aux JO des pays qui refusent de respecter la Charte ?
Dès 1994, des émissaires de Téhéran ont demandé à la Conférence « Femmes et Sport » de Brighton l’adoption de règles vestimentaires afin de permettre le port des tenues imposées à toutes les femmes en Iran par le régime de Khomeiny.
A la 4ème Conférence Mondiale sur les Droits des Femmes de Pékin en 1995, le Comité Atlanta + proposa des stratégies d’actions internationales féministes pour s’opposer aux délégations étatiques intégristes qui mettait déjà en cause la présence des femmes dans les délégations sportives. Le représentant de l’Iran avait tenté de faire passer un texte interdisant la présence des femmes athlètes de la compétition. Face à la mobilisation sur place des ONG, cette position ne fut pas adoptée, mais cette épisode marqua le point de départ d’une offensive qui se réactive régulièrement, à chaque conférence mondiale.
En 1996, aux JO d’Atlanta, pour la première fois une compétitrice iranienne se présente couverte de la tête aux pieds.
Sous le gouvernement Jospin, après la 4ème Conférence mondiale de Pékin, en 1997, Marie-Georges Buffet Ministre des Sports reçut les associations féminines et féministes pour les informer de sa volonté de travailler en concertation à une plus grande visibilité des femmes dans le sport et à une réelle représentation des femmes aux postes de direction de fédérations sportives. Ce qu’elle fit réellement. Son action fut jugée très positive par les associations, même si toujours insuffisante car elle s’est affronté à un bastion très masculin.
Quelques modifications ont été apportées depuis, même si les femmes demeurent très minoritaires au sein des instances dirigeantes de la famille olympique : CIO, CNO, COJO, Fédérations internationales et nationales.
La 105ème session du CIO, réunie à Atlanta en juillet 1996, décidé que les CNO devraient réserver aux femmes au minimum 10 % des postes de toutes les structures ayant pouvoir de décision au 31 décembre 2000. Cette proportion devait passer à 20 % au 31 décembre 2005.
On est aujourd’hui loin du compte. Un exemple frappant : le Comité d’organisation des JO de Londres de 2012 (LOCOG) ne comporte qu’une femme parmi les 19 membres, c’est la Princesse Anne. Il serait temps aujourd’hui de tenir les promesses, proclame les associations.
En 2008, à Pékin, 14 délégations comportaient des femmes voilées : une athlète bahreïnie a couru l’épreuve du 400 mètres emmaillotée, affichant ouvertement par sa tenue, une posture politico-religieuse.
En 2010, à Singapour, à la première édition des Jeux de la Jeunesse, le CIO a accepté, avec l’aval de la FIFA, la présence de footballeuses vêtues de pied en cap. Or, cette attitude met en danger les athlètes. La médaillée d’or algérienne Hassiba Boulmerka, refuse toute tenue imposée pour des motifs religieux.
En juin 2010 : Campagne de la Marche Mondiale des Femmes contre les Violences et la Pauvreté dénonçant le « Foot et le sexe, une manne financière pour certains » dans la préparation et l’organisation de la Coupe du Monde de Football.
La MMF dénonce la recherche de l’argent et du profit comme moteur principal de ceux qui organisent les coupes, les tournois, les matchs ; les alliances avec les multinationales pour faire les plus gros bénéfices possibles, les réseaux mafieux et les gangs selon les endroits où se tiennent les évènements sportifs internationaux et l’utilisation de la prostitution qui les accompagnent ; le scandale des joueurs prostitueurs dont les scandales furent rapidement effacés de la scène médiatique. Elles dénoncent l’utilisation du corps des femmes comme marchandise et conclut : « Acheter du sexe n’est pas un sport ! ».
En mai 2011, campagne de pétition : « A la télé, pas de filles hors-jeu » de l’Association Femmes Solidaires.
Cette campagne est partie du constat que le sport masculin tient une place importante, voire exclusive dans les retransmissions télévisuelles et que les évènements sportifs féminins y sont largement sous-représentés puisqu’ils représentaient 7 évènements sur 21et que la Coupe du monde de football féminin n’y figurait même pas.
Ajoutant que le décret du 24 décembre 2004 énumère 21 évènements d’importance majeure que les télespectateurs-trices devraient être en droit de pouvoir regarder à la télévision, cette campagne affirma la nécessité de représenter les manifestations sportives féminines à égalité et à parité avec les manifestations sportives masculines.
Leur revendication :
S’appuyant sur l’article 1er du Préambule de la Constitution de 1958, elles rappellent que : « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales », en conséquence de quoi, cette pétition demande au Ministère de la Culture et de la Communication de l’époque de proposer la modification du décret du 24/12/2004 afin qu’il intègre dans les évènements sportifs d’importance majeure les évènements suivants :
– les matchs de l’équipe de France féminine de football inscrits au calendrier de la FIFA ;
– le match d’ouverture, les demi-finales et finales de la Coupe du monde de football féminin.
Elles avancent également que la modification de ce décret permettrait au groupe France Télévision d’assumer ses missions de service public en programmant ces matchs à des heures de grande écoute,
Coupe du monde du 26 juin au 17 juillet 2011 en Allemagne.
En juillet 2011, la Délégation à l’Egalité des femmes et des hommes dans le sport du Sénat (France) adopte 24 recommandations à « l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ». (Voir le site du Sénat, je ne peux reproduire ici le texte complet des 24 recommandations intéressantes qui forge le corpus d’une réelle politique d’égalité entre filles et garçons, femmes et hommes dans le sport).
2012 : Mobilisation des ONG autour de la préparation des Jeux Olympiques Londres 2012 (27 juillet 2012) : « Mixité, égalité et Justice pour les Marathoniennes Olympiques » à l’initiative du Comité Atlanta + de la CLEF (Coordination Française pour le Lobby Européen des Femmes) et de Fémix Sports.
Elles ont travaillé sur la Charte en la considérant comme un levier pour la promotion du droit des femmes.
L’universalité de la loi Olympique : demande de respecter ses objectifs (chapitre 1, règle 1.1.) ; des principes éthiques fondamentaux et universels (principe 5) ; de l’engagement pour l’égalité entre hommes et femmes (chapitre 1, règle 2.7.) ; de la neutralité du sport (chapitre 5, règle 51.3).
Concernant l’application de la Charte Olympique, elles ciblent 7 impératifs.
– Le refus de la participation des pays qui excluent les femmes de leur délégation (principe de non discrimination) ;
– Le respect de la neutralité du sport en interdisant le port de signes politiques et religieux (règle 51 sur la neutralité du sport) ;
– De ne plus cautionner les Jeux séparés pour les femmes institutionnalisant la ségrégation dans le sport (principe de non discrimination) en exigeant une véritable parité hommes-femmes dans le cadre des disciplines et épreuves aux JO (principe de non discrimination) ;
– De respecter et d’amplifier les minima décidés par le CIO pour la promotion des femmes (engagement de promouvoir l’égalité) ;
– De lutter dans et autour des JO, contre les discriminations fondées sur les stéréotypes sexuels (construire un monde meilleur), ce qui signifie de lutter contre le sexisme, l’homophobie, la transphobie, au nom du fait que la Charte Olympique confère au sport une valeur éducative contribuant à la construction des identités et que le sport est un droit pour toutes et tous.
Dans le même esprit, d’inclure les épreuves paralympiques aux JO eux-mêmes, de sorte que tous les athlètes bénéficient de la même audience et du même accueil du public ;
– De contester la prostitution organisée autour des sites olympiques. En effet, lors de chaque grande manifestation sportive, on constate une explosion de la prostitution, comme cela a été le cas pour les mondiaux de foot.
– De rendre hommage aux pionnières du sport par un geste symbolique fort : la remise par le Président du CIO de la médaille d’or à la marathonienne comme au marathonien (principe de non discrimination).
Leur message s’adresse à toutes et tous, mais surtout au Mouvement Olympique.
Londres doit marquer un véritable tournant : en finir avec les inégalités de sexe et les stéréotypes. Ces JO ont lieu en Europe ; ils peuvent et ils doivent afficher l’ambition de lutter contre les discriminations.
Contacts pour la campagne courriel Annie Sugier : femmesetsports@gmail.com
Comité Atlanta + : w113111@club-internet.fr
CLEF Commission Femmes et Sports : femmesetsports.clef@gmail.com
Femix Sports : femixsports@hotmail.com
Annexe
Article paru dans la revue Planète paix, juillet 2006
« Mondial et prostitution : une dérive honteuse des évènements sportifs »
Monique Dental, animatrice du Réseau Féministe « Ruptures »
Il n’échappe à personne que des évènements sportifs internationaux, comme la Coupe du monde ou les jeux olympiques, aiguisent les appétits financiers les plus féroces, mais, les violences envers les femmes qu’ils occasionnent sont en revanche ignorées : viols d’athlètes féminines habilement tus, délégations olympiques non mixtes … Tout comme en période de guerre, lorsque des hommes s’affrontent, ce sont les femmes qui en font les frais.
Le sport étant devenu une entreprise rentable dans la bataille économique de l’industrialisation mondialisée, la recrudescence de la prostitution liée à des rassemblements sportifs, a réellement pris de l’ampleur avec les Jeux Olympiques d’Athènes. C’est pourquoi la Coupe du monde de football qui attire des millions de spectateurs en Allemagne est une aubaine pour les marchands du sexe. A cette occasion, l’industrie du sexe a construit un gigantesque complexe prostitutionnel qui s’exhibe sur 3000 m2. Tout y est conçu pour engranger les meilleurs profits. Spéculant sur une demande accrue et en vue de rentabiliser ces investissements, les « entrepreneurs du sexe » prévoient d’« importer » des milliers de femmes pour répondre à la demande. On estime à plus de 40 000 le nombre de femmes provenant des pays Baltes, de l’Europe de l’Est et d’Afrique qui seront contraintes de se prostituer par tous les moyens.
Pour qu’un monde sans prostitution reste possible, des associations féministes abolitionnistes en France dénoncent cette industrialisation du commerce du sexe d’une ampleur inégalée qui frise l’horreur et le sordide. Regroupées autour de la pétition internationale « Acheter du sexe n’est pas un sport » (http://catwepetition.ouvaton.org) lancée par la Coalition Contre la Traite des Femmes (CATW), plus de 60 organisations, partis et syndicats mènent une campagne pour s’opposer au trafic des femmes à des fins de prostitution. Des initiatives multiples ont eu lieu dans toute la France. Quant au gouvernement français, celui-ci brille par son silence, alors qu’il n’avait eu de cesse par sa loi de Sécurité intérieure de transformer les prostituées en délinquantes, rendant ainsi encore plus vulnérables celles et ceux qui sont aux mains des réseaux.
Pourquoi de telles régressions ? Pour l’industrie du sexe, le développement de la prostitution représente un marché potentiel très profitable, au même titre que n’importe quel service. Pour déculpabiliser ceux qui en tirent profit, l’industrie du sexe cherche à banaliser cet esclavage sexuel moderne en faisant reconnaître la prostitution comme une profession. Pour y parvenir, il s’agit pour eux d’éliminer les instruments qui rendent illégal l’exploitation du corps des femmes. Il leur faut lever la position abolitionniste (ratifié par l’ONU dans la Convention du 2 novembre 1949 dont l’Etat français se réclame toujours) afin de créer le rapport de force qui obligera les pays de l’Union européenne à adopter une position réglementariste qui assimile la prostitution à une profession.
A Pékin, en 1995, à la 4ème Conférence Mondiale sur les Femmes, l’Allemagne et les Pays-Bas ont fait introduire dans la plateforme finale d’action une distinction entre « prostitution libre » et « prostitution forcée », cela revenait en réalité à justifier les mesures prises contre le trafic des femmes et non contre la prostitution en tant que telle. Cette position est démagogique. Faut-il encore rappeler que les femmes n’optent jamais librement pour la « profession » de prostituée, mais y sont contraintes pour des raisons économiques et le plus souvent par la violence.
Ainsi, nous voyons combien la mondialisation libérale vit de l’aliénation des êtres en leur demandant d’être avant tout des consommateurs, nie et méprise la liberté des individus, crée et entretient la confusion entre libéralisme et liberté, profit et partage.
Le Réseau Féministe « Ruptures » rappelle que l’acheteur de services sexuels, trop longtemps ignoré, est le principal responsable du système prostitutionnel. C’est pourquoi nous nous opposons à la légalisation de la prostitution comme profession et militons pour la pénalisation du client et des proxénètes.
14 Juin 2006.
Contact : monique.dental@orange.fr