La supercherie du « Pacte pour la croissance »
La supercherie du « Pacte pour la croissance »
Le Monde.fr | 27.06.2012
Par Thomas Coutrot, co-président d’ATTAC, Pierre Khalfa, co-président de la Fondation Copernic
Nos amis allemands ne peuvent pas poser deux verrous à la fois, un sur les eurobonds (obligations pour mutualiser les dettes publiques européennes) et un autre sur le refinancement direct des dettes par la BCE », avait déclaré François Hollande le lendemain de son élection au site Slate.fr. La fermeté du ton employé par le candidat socialiste durant la campagne électorale, et réitérée dès son élection, laissait entrevoir la possibilité d’un bras de fer entre le nouveau pouvoir français, auréolé de sa toute fraîche légitimité électorale et soutenu par les gouvernements conservateurs d’Europe du Sud, et un gouvernement conservateur allemand isolé. Une épreuve de force d’où serait sorti, après quelques épisodes de forte tension, un réel compromis, en particulier sur le rôle de la BCE. Cela n’aurait pas résolu les problèmes de fond de la construction européenne, mais permis sans doute de soulager de la pression des marchés financiers des pays qui, sinon, vont inexorablement sombrer dans l’abîme de la dépression.
Pourtant il aura suffi de quelques déclarations tonitruantes d’Angela Merkel et de son ministre de l’économie Wolfgang Schauble pour que les deux propositions iconoclastes disparaissent du « Pacte pour la croissance » que le même François Hollande propose au sommet européen du 28 juin. Il n’y aura pas de conflit, et donc pas de réel compromis, mais une capitulation en rase campagne comme le montrent les récentes déclaration de Jean-Marc Ayrault renvoyant les « eurobonds » à dans 10 ans.
Exit donc la « renégociation » du Pacte budgétaire (le fameux « traité Merkozy ») promise par le candidat socialiste pendant la campagne électorale : voici désormais le Pacte budgétaire « complété » par un Pacte de croissance censé éloigner l’Union européenne d’une approche purement punitive et austéritaire, grâce à soi-disant 120 milliards d’euros d’investissements nouveaux pour des grands projets européens. Notre président « normal » s’achemine donc vers un sommet européen « normal », conclu par force embrassades et déclarations triomphantes proclamant la « fin de la crise » pour la zone euro. Il y a fort à parier que le gouvernement français en profitera pour faire ratifier rapidement le Pacte budgétaire par le Parlement nouvellement élu.
Seul problème : ce « Pacte de croissance » n’aura aucun impact sur la croissance. D’abord parce que les chiffres annoncés ne représentent que moins d’1% du PIB de l’Union européenne. Mais surtout parce que ces chiffres sont sans signification économique et recouvrent pour l’essentiel non pas un plan de relance mais une opération de communication politique. Ainsi, les fameux 120 milliards consistent pour moitié en un « redéploiement » de fonds structurels soi-disant « dormants », mais qui en réalité étaient bel et bien déjà programmés pour être dépensés d’ici 2014. Quant aux nouveaux prêts que la Banque européenne d’investissement pourra, peut-être, consentir au secteur privé pour des « grands projets » grâce à l’augmentation de son capital et aux project bonds, ils seront étalés sur plusieurs années et l’impact en sera donc très limité. De toutes façons le problème de la zone euro n’est en aucun cas que les entreprises manquent de ressources pour investir : les grands groupes regorgent au contraire de liquidités, qu’ils distribuent d’ailleurs pour une large part à leurs actionnaires.
Si le « Pacte de croissance » est un simulacre, en revanche le Pacte budgétaire, lui, est bien réel : il implique des mesures de réduction des déficits dont l’impact direct sur la croissance de la zone euro est déjà démontré, et chiffré à 7 points de PIB sur la période 2010-2013 par trois Instituts économiques indépendants, IMK (Allemagne), OFCE (France) et WIFO (Autriche). En laissant entendre que le « Pacte pour la croissance » compensera les effets récessifs du Pacte budgétaire, François Hollande met donc en scène une véritable supercherie politique pour justifier la ratification rapide de ce dernier par la France. Rappelons que le Pacte budgétaire impose ad vitam aeternam une nouvelle norme budgétaire : le « déficit structurel » – notion ésotérique et controversée – des États ne devrait plus dépasser 0,5 % du PIB. Le Pacte introduit des sanctions quasi-automatiques pour les pays contrevenants et donne à la Commission et à la Cour de justice européenne un droit de veto sur les décisions budgétaires nationales.
Il est possible qu’un enthousiasme médiatiquement orchestré, comme on en a tant vu ces deux dernières années à l’issue de chaque sommet européen « de la dernière chance », convainque l’opinion publique de la thèse du « compromis » arraché par François Hollande à Angela Merkel. Effet d’annonce renforcé par l’annonce de l’adoption d’une taxe sur les transactions financières en contournant l’opposition du Royaume-Uni grâce à une procédure de « coopération renforcée ». Taxe dont la mise en œuvre concrète, qui heurterait de puissants intérêts, risque malheureusement de s’embourber de longues années dans les couloirs de la Commission.
Mais tout l’art des communicants ne fera pas du « Pacte pour la croissance » le début d’une solution à la dépression dans laquelle s’enfonce dangereusement la zone euro du fait des politiques d’austérité généralisée. Plus grave encore peut-être : cette supercherie, et l’inévitable déception qui s’ensuivra à mesure que la crise va continuer à s’aggraver, portera un coup supplémentaire à la crédibilité de la parole politique. À prendre les citoyens pour des enfants qu’on berce avec des effets d’annonce, nos gouvernants préparent à la démocratie en Europe de sombres lendemains.
Il est encore temps d’empêcher ce scénario. Les citoyens peuvent intervenir pour exiger de François Hollande qu’il soumette la ratification du Pacte budgétaire et du « compromis » du 28 juin à un véritable débat démocratique, tranché par un référendum. Des dizaines de personnalités de la société civile le demandent dans une pétition (en ligne sur les sites d’Attac et de la Fondation Copernic). Face à la montée de l’extrême droite il faut d’urgence non pas moins mais plus de participation populaire, plus de démocratie en France et en Europe. L’Union européenne et l’euro ne retrouveront pas d’avenir dans les ficelles de la communication politique, mais en se soumettant à l’épreuve du débat et de la souveraineté démocratique.
Thomas Coutrot, co-président d’ATTAC, Pierre Khalfa, co-président de la Fondation Copernic