Dans le contexte actuel texte de la CATW en Français, concernant la nouvelle communication de la Commission Européenne
A Gert Bogers, Responsable des politiques contre la Traite des être humains, Commission européenne
De La Coalition contre la traite des femmes, Europe
Au sujet de la Communication de la Commission au Parlement Européen, au Conseil, au Comité économique et social européen, au Comité des régions
La Coalition contre la traite des femmes, Europe (CATW, Europe) se félicite de la communication de la Commission concernant la Stratégie européenne pour l’éradication de la traite des êtres humains 2012-2016. Depuis sa création en 1988, la CATW qui est la première organisation à lutter contre la traite au niveau international, a toujours maintenu une présence forte en Europe.
Durant toutes ces années, la CATW s’est battu contre la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, dans la perspective du droit des femmes à être libres de toute exploitation sexuelle. C’est pourquoi nous nous réjouissons du fait que la Communication mette l’accent sur la traite en tant qu’atteinte à l’égalité de genre. Ainsi, la Communication corrobore les données de l’UNOD, à savoir que la majorité de la traite concerne l’exploitation sexuelle et que les femmes et les filles en sont les principales victimes. Nous soutenons l’attention particulière portée au fait que les victimes ne doivent pas être stigmatisées ou re-victimisées. Cela est spécialement important dans cette période de crise économique européenne, où l’on voit de plus en plus de femmes originaires des pays en crise être trafiquées à travers le continent. Par exemple, nous savons que des femmes grecques sont aujourd’hui objets de traite à travers l’espace Schengen. Ces informations sur ces récents événements confirment la nécessité d’agir afin de prendre en compte les situations particulières des femmes dans le cadre des droits des femmes.
Cependant, certaines parties de la Communication nous préoccupent à plus d’un titre.
Le cadre juridique : Le fait que certains instruments de référence au problème de la traite ne soient pas mentionnés nous laisse perplexes. En particulier, nous nous demandons pourquoi la Convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui n’est pas citée, même en note de bas de page. En effet, la majorité des pays membres de l’UE ont ratifié cette convention, ainsi que la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’encontre des femmes, qui n’apparaît pas non plus en référence.
Toutes les conditions de la traite élaborées dans le Protocole de Palerme sur la traite, ainsi que dans la Convention du Conseil de l’Europe dite de Varsovie, devraient être indiquées. Or seules « la force, la coercition ou la fraude » sont mentionnées et nullement « abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité». Le Protocole de Palerme, tout comme la Convention du Conseil de l’Europe intègrent aussi dans leurs définitions ces dispositions essentielles : « Le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés (…) a été utilisé ». C’est pourquoi toutes les victimes de la traite doivent être protégées, et pas seulement celles qui pourront prouver la contrainte.
Comprendre et réduire la demande – Dans ce contexte, nous rappelons au Conseil la résolution de 2005 de la Commission sur les Statut des femmes (CSW) qui appelle à « éliminer la demande aboutissant à la traite pour l’exploitation sexuelle », ainsi que les politiques contre la traite des être humains du Département de l’ONU pour le maintien de la paix (DPKO), qui demande de poursuivre tout militaire, toute personne chargée du maintien de la paix ou tout personnel ayant recours à des femmes pour des activités sexuelles dans la prostitution, même si la prostitution est légale dans les juridictions nationales où les forces de maintien de la paix sont présentes.
A la lumière de l’accent mis par la Communication sur la traite en tant que violation de l’égalité de genre, nous sommes étonnées que la demande ne soit pas sexuée dans le document, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’exploitation sexuelle. Or l’on sait que ce sont majoritairement des hommes qui achètent les femmes aux fins d’exploitation sexuelle.
La Communication met en valeur comme bonne pratique en note de bas de page, la campagne de l’OIM « Achetez responsables», suggérant que ce type d’action pourrait permettre de réduire la demande pour « toutes les formes de traite, y compris l’exploitation sexuelle ». Cependant, la campagne de l’OIM « achetez responsables », se limite au fait d’acheter des produits de manière responsable. Les femmes ne sont pas des produits, et ne doivent pas non plus être achetées et vendues comme des produits, y compris de façon « responsable ». Comment cette référence trompeuse à une campagne qui ne mentionne pas le fait d’acheter des activités sexuelles, pourrait-elle être considérée comme un modèle pour réduire la demande pour la prostitution qui amène à la traite pour l’exploitation sexuelle ?
Nous réalisons que certains pays en Europe ont pris cette direction en encourageant les hommes à acheter « responsables » les femmes dans la prostitution. C’est le cas aux Pays Bas de la Crimestoppers Campaign où il est demandé aux hommes acheteurs de rapporter les abus et les encourage à ne pas utiliser la force et la contrainte lorsqu’ils achètent des activités sexuelles. Toutefois d’autres pays d’Europe ont refusé cette approche et les pratiques qui l’accompagnent. C’est le cas de la Suède, de l’Islande et de la Norvège qui ont adopté une législation qui pénaliser les acheteurs de sexe et ne considèrent pas qu’il puisse exister une manière « responsable » d’acheter des activités sexuelles. En 2011, tous les partis à l’Assemblée Nationale en France ont affirmé la position abolitionniste de la France sur la prostitution, considérant que l’acceptation législative de la prostitution était incompatible avec les politiques pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, contraire aux droits humains. Cette résolution exprimait aussi la nécessité d’aller dans la direction de la pénalisation des acheteurs.
Pour comprendre et réduire la demande, il faut tout d’abord comprendre que la demande peut avoir des sens différents lorsqu’il s’agit de la traite pour le travail forcé ou la traite aux fins d’exploitation sexuelle. Nous ne pouvons confondre les deux, ce que suggère la Communication en proposant que la campagne de l’OIM « Achetez responsable » puisse être considérée comme modèle pour comprendre et réduire la demande.
La Coalition contre la traite des femmes Europe, est prête à partager les conclusions de son travail réalisé dans seize pays en Europe, pour la réduction de la demande. Nous notons qu’une recherche va être entreprise sur « la réduction de la demande pour les services des victimes de la traite » en 2013, et qu’un « Modèle et des lignes directrices » pour la réduction de la demande sont envisagé pour 2016.
Nous espérons que les ONG de femmes qui ont une large expérience sur ces questions, ne seront pas seulement consultées, mais pourront également jouer un rôle actif dans la rédaction de cette recherche et dans les propositions qui en seront issues, afin qu’elles servent de modèle et de lignes directrice pour comprendre et éliminer la demande.
Bien cordialement,
Malka Marcovich
Directrice Régionale pour l’Europe, Coalition contre la traite des femmes, CATW
Janice G. Raymond
Membre du bureau international de la Coalition contre la traite des femmes International
Contact – malka.marcovich@gmail.com