La prostitution selon Dominique Noguez : le point de vue du dominant et les œillères du patriarcat !

La prostitution selon Dominique Noguez : le point de vue du dominant et les œillères du patriarcat !

La prostitution selon Dominique Noguez : le point de vue du dominant et les œillères du patriarcat !

Le Monde.fr | 05.09.2012 à 09h46

Par Patric Jean, cinéaste et porte-parole du réseau Zéromacho Grégoire Théry, membre de Zéromacho et Secrétaire général du Mouvement du Nid

Monsieur Noguez voudrait « repenser » la prostitution. Il faudrait d’abord qu’il puisse la penser ! Ce à quoi il ne parvient manifestement pas, handicapé par une vision de la société dénuée de toute remise en question en tant qu’homme et un rapport à la réalité plus ancré dans l’art et la littérature que dans l’expérience des inégalités de sexe et de classe.

Pour commencer, nous serions un ramassis d’ « inquisiteurs » et de « fouille-culottes ». Puisque M. Noguez semble s’être renseigné sur l’excellent rapport d’information sur la prostitution en France, publié en avril 2011 et qui a contribué à l’adoption par l’Assemblée nationale le 6 décembre dernier d’une résolution qualifiant pour la première fois les violences inhérentes à la prostitution, il devrait savoir que celles et ceux qu’il qualifie de la sorte regroupent en fait les associations françaises de lutte contre les violences faites aux femmes et de promotion de l’égalité femmes-hommes. Associations qui se mobilisent pour que nul n’ait le droit d’exploiter la précarité d’autrui pour imposer un rapport sexuel par l’argent, En bon masculiniste, il nous fait d’ailleurs le coup de la ministre « étourdie » et de la femme « survoltée » (comprenez « féministe »)… Il est étonnant de voir à quel point les mêmes qualificatifs sont employés dès qu’il s’agit d’une femme. Il ne manque que l’hystérie pour compléter le tableau.

L’argument n’est pas nouveau : il s’agit de dénoncer celles et ceux qui osent s’attaquer aux violences d’une sexualité prédatrice au prétexte qu’elles mettraient leur nez dans les affaires privées des bonnes gens. Comme si la loi n’interdisait pas déjà un certain nombre d’actes comme la pédophilie ou le viol. Comme s’il ne s’agissait dans tous les cas que d’une affaire privée, vieil argument des masculinistes pour donner libre cours aux pseudo-pulsions de nous les hommes. Rassurez-vous, cher Dominique Noguez, nous serons heureux de déserter la chambre à coucher mais uniquement lorsque les violences et le marché nous auront précédés.

M. Noguez fait mine de ne pas comprendre ce qu’il y aurait de commun entre les « escortes » buvant du champagne et les étrangères étranglées par les réseaux. La réponse est pourtant simple : il y a toujours un client prostitueur, en écrasante majorité un homme (même lorsque la personne prostituée est aussi un homme), qui parce qu’il a le pouvoir de l’argent, peut imposer un rapport sexuel au mépris de l’autre et de son désir.

M. Noguez a lu Proust et Maupassant. Mais que sait-il du réel de la prostitution ? Des méthodes utilisées par les proxos à la petite semaine, sans même parler de celles des réseaux, des violences, du mépris, des humiliations qui font le quotidien des personnes, de leur santé démolie, des suicides, des traumatismes (oui, des traumatismes !) qu’elles ne peuvent confier qu’aux associations parce que la société ne veut pas les entendre, préférant continuer de croire au « plaisir » et à la « liberté » ? Que sait-il de l’écrasante proportion de personnes issues des groupes les plus vulnérables, françaises ou étrangères, ces dernières appartenant en premier lieu aux groupes ethniques les plus défavorisés ?
Non, à tout cela, Monsieur Noguez préfère la vision littéraire ou cinématographique classique, un fantasme, de la femme qui aime être violentée et qui en jouit. Un fantasme d’auteurs et d’écrivains bien masculins, cela n’échappe à personne.

Que sait-il du sujet dont il traite, lui qui ne craint aucun amalgame, aucune approximation, aucune contre-vérité ? Etre prostitué-e ou footballeur professionnel serait équivalent. Les victimes de la traite des êtres humains seraient minoritaires, les femmes ne seraient pas les premières visées par la prostitution, où s’exercerait la parité !! (on goûte ici l’utilisation soudaine du terme) ; enfin la France devrait imiter ses voisins qui ont procédé à une « réglementation efficace ». Parlons-en ! Si M. Noguez s’était informé, il saurait que le bilan en est catastrophique : explosion de la traite et de la criminalité ainsi que des bordels illégaux, échec total de l’inscription légale des personnes prostituées et donc de leur accès aux droits sociaux, femmes en soldes ou assorties de forfaits et de promotions dans les bordels, pouvoir croissant du lobby proxénète désormais en col blanc. Un proxénétisme plus florissant que jamais, contre lequel M. Noguez demande pourtant de « lutter efficacement ». Comprenne qui pourra.

Ce que M. Noguez ne comprend pas, c’est que la prostitution est le lieu emblématique de la domination et que la défendre n’est en rien une « valeur de gauche ». A moins qu’il nous démontre en quoi l’emprise du marché sur la personne humaine, son corps et sa sexualité ainsi que l’exploitation de toutes les inégalités (femmes-hommes, Nord-Sud, riches-pauvres) feraient partie d’un projet de société progressiste.

En ce qui nous concerne, nous sommes soucieux d’une véritable libération sexuelle et d’une société plus juste. Celle-ci implique que la sexualité soit dégagée des contraintes morales, physiques et économiques, qu’elle ne soit ni soumise aux injonctions morales, ni sous l’emprise de la domination masculine et du marché.

Peut-etre client prostitueur lui-même, ou en tout cas représentant d’une sexualité « à la papa », M. Noguez observe la société du point de vue du dominant et avec les œillères du patriarcat. Nous sommes d’une autre génération, ce dont témoignent ces quelques chiffres : non seulement 59% des femmes – contre 32 % des hommes- mais aussi 57 % des 25-35 ans, contre 33 % des 50-64 ans, souhaitent que la loi sanctionne le client qui a recours à une prestation sexuelle tarifée.

Patric Jean, cinéaste et porte-parole du réseau Zéromacho Grégoire Théry, membre de Zéromacho et Secrétaire général du Mouvement du Nid

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