Mais que vient faire Frédéric Taddéi au Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ?
Mais que vient faire Frédéric Taddéi au Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ?
Par Marilyn Baldeck (25 janvier 2013)
Institué au début du mois de janvier, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ne convainc pas tout le monde. Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association contre les violences faites aux femmes au travail, y décèle une possible renonciation à la lutte contre les violences sexistes. D’autant que l’animateur Frédéric Taddei, favorable à la prostitution, a rejoint le Haut conseil en tant que « personnalité qualifiée ».
Créé par décret présidentiel le 3 janvier dernier, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes est placé « auprès du premier ministre ». Il a pour mission « d’assurer la concertation avec la société civile et d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité, notamment en ce qui concerne la lutte contre les violences de genre, la place des femmes dans les médias et la diffusion de stéréotypes sexistes [1], la santé génésique, l’égal accès aux fonctions publiques et électives et la dimension internationale de la lutte pour les droits des femmes ». Il est présidé par Danielle Bousquet, militante féministe et ancienne députée.
Le même jour, un autre décret présidentiel a créé la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, placée « auprès du (sic) ministre chargé des droits des femmes » Najat Vallaud Belkacem. Ernestine Ronai, militante féministe et responsable de l’Observatoire de lutte contre les violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis, est chargée « de contribuer à la mise en œuvre de ces objectifs » , sans plus de précisions.
« Propagande pro-proxénète »
D’anciennes structures – l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, la commission sur l’image des femmes dans les médias et la commission nationale de lutte contre les violences faites aux femmes – disparaissent au profit de ces deux nouvelles instances. L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), qui avait été nommée membre de la commission nationale de lutte contre les violences faites aux femmes dès sa création en 2001 et dont le mandat, compte tenu de ses apports en matière d’analyse des violences masculines à l’encontre des femmes, avait toujours été renouvelé, ne s’est pas vu proposer de mandat dans le collège associatif du Haut Conseil.
En revanche, Frédéric Taddéi, animateur de télévision, a été placé au sein du collège des « personnalités qualifiées choisies à raison de leur compétence et de leur expérience dans les domaines des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes » du Haut conseil. Il est vrai que son expertise en matière de propagande pro-proxénète par émission de « service public » interposée n’est plus à démontrer.
Le 10 décembre dernier, l’animateur recevait dans son émission « Ce soir ou jamais » sur France 2, Dominique Alderweireld, qui possède une dizaine de « maisons closes » en Belgique. Cité dans « l’affaire du Carlton de Lille » il a été condamné pour proxénétisme. Cette émission avait eu pour seul objectif de nier les crimes perpétrés au nom du droit des hommes à disposer du corps des femmes contre rémunération.
Quel projet de société ?
Dans l’hebdomadaire Grazia du 11 janvier, Frédéric Taddéi explique : « C’est Najat Vallaud Belkacem qui m’a sollicité. » Et précise : « J’ai accepté car l’égalité hommes-femmes, que je ne confonds pas avec l’indifférenciation des sexes, est un thème qui m’intéresse. Même si il y a un tas de sujets sur lesquels je suis en désaccord ». Question de Grazia : « Lesquels, par exemple ? » Réponse : « Je suis pour la prostitution. »
De quels apports le Haut conseil va-t-il donc pouvoir se prévaloir ? D’avoir tenté de « sensibiliser » Frédéric Taddéi, ce que nous avons pu entendre ici ou là ? D’avoir autorisé la controverse en son sein, au motif ou au prétexte d’une nécessaire pluralité « d’opinions », si tant est qu’être « pour la prostitution » puisse en être une ?
N’avait-il pas mieux et plus urgent à faire ? En quoi la présence de M. Taddéi [2] dans le Haut Conseil va-t-elle bien pouvoir servir aux femmes ? A la société tout entière ? A quel projet de société le fait de ranger M.Taddéi (thuriféraire de la prostitution) parmi les spécialistes de l’égalité entre les femmes et les hommes, correspond-il au juste ? Quelle politique, notamment en matière de « prostitution », ce Haut conseil est-il supposé soutenir ou accompagner ?
Protéger les femmes ou condamner les hommes violents ?
La création, concomitamment au Haut conseil, de la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, enterre encore un peu plus tout positionnement abolitionniste de la France. Faut-il encore le rappeler, la politique sous-tendue par cette terminologie empruntée aux traités européens et onusiens exclut de facto toute lutte contre le proxénétisme et plus encore toute pénalisation du fait de payer pour un rapport sexuel : il n’est question que de la « traite » [3]. L’esclavage aurait eu de beaux jours devant lui si la seule « traite des esclaves » avait été abolie. Or c’est bien l’esclavage qui a été aboli.
Souvenons-nous d’ailleurs que la féministe Olympe de Gouges fut une des plus ardentes abolitionnistes de l’esclavage du Siècle des Lumières, de la même façon que les féministes, au cours des siècles, ont toujours dénoncé les systèmes d’oppression quels qu’ils soient et où qu’ils s’exercent. En outre, il est illusoire de vouloir assurer « la protection des femmes contre les violences » tout en circonscrivant les politiques publiques en matière de prostitution à la seule « lutte contre la traite des êtres humains ».
Il n’est enfin pas anodin que l’expression « lutte contre les violences faites aux femmes », présente dans le nom de la commission éponyme dissoute, a purement et simplement disparu de la terminologie gouvernementale, au profit de l’expression « pour la protection des femmes contre les violences ». Il ne s’agit donc plus de lutter contre les violences, mais d’en « protéger » les femmes. Le Haut Conseil, pour sa part, contiendra une commission « sur – et non contre – les violences de genre ». Ainsi les concepts de « protection des femmes » et de « genre », cent fois questionnés et remis en cause par les féministes, qui savent bien que ces choix terminologiques sont lourds de sens, sont-ils institutionnalisés.
Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’AVFT
Notes
[1] Nous supposons qu’il faut lire « la lutte contre la diffusion de stéréotypes sexistes ».
[2] Qui, soit dit en passant, était absent de la première réunion du Haut Conseil, le 8 janvier dernier.
[3] Cf. notamment l’interview de Marie-Victoire Louis, chercheuse féministe, fondatrice et ex-présidente de l’AVFT par Grégoire Téry, en 2005.