Ce qui parait le plus noir, c’est ce qui est…

Ce qui parait le plus noir, c’est ce qui est…

Ce qui parait le plus noir, c’est ce qui est éclairé par l’espoir le plus vif (première partie)
Publié le 25 février 2013
(Extrait du site : Entre les lignes, entre les mots »)

Il y a un certain scandale à attendre 30 ans pour disposer enfin du livre d’Andrea Dworkin. Et comment ne pas mettre cela en regard du mépris pour les études féministes par la majorité des universitaires et des « politiques », par les grands éditeurs. Sans oublier le climat anti-féministe permanent comme l’on montré récemment l’affaire DSK (voir le livre coordonné par Christine Delphy : Un troussage de domestique, Syllepse 2011 Dans cette histoire, il y a une autre personne et c’est une femme) ou les déclarations hétéro-sexistes lors du débat autour du mariage.

Certain-ne-s diront, mais peu briseront le silence, qu’Andrea Dworkin exagère, que la situation des femmes n’est plus la même, que la situation en France n’est pas comparable à celle des États-Unis. Certain-ne-s iront même jusqu’à monter du doigt d’autres pays, où les femmes ont moins de droits, etc.

Mais les un-e-s et les autres esquiveront ainsi le fond des analyses, l’inégalité structurelle dans les rapports sociaux de sexe, le système de genre, la domination organisée des hommes sur les femmes, l’assignation des femmes à « leur sexe à baiser et leur corps à enfanter ».

Quelques-un-es ne manqueront de s’offusquer du vocabulaire ordinaire et trivial utilisé par l’auteure, préférant les jargons élitaires pour cacher leur anti-féminisme concret.

Le titre de cette note est la lumineuse dernière phrase de la préface « Patriarcat et sexualité : pour une analyse matérialiste » de Christine Delphy.

Celle-ci indique, quant au silence fait sur l’auteure, « La première raison du silence fait sur elle est sans doute que Dworkin est radicale. Elle écrit sur un sujet qui, alors qu’on prétend en parler, est en réalité toujours aussi tabou : la sexualité, et plus précisément l’hétérosexualité, et plus précisément encore, sa pratique et sa signification, dans un contexte précis : la société patriarcale. Elle parle de sexualité dans un régime de domination, et de sexualité entre dominants et dominées ». Christine Delphy nous parle de cette violence partie intégrante de la société patriarcale, de cette violence tolérée par la société, de cette violence invisibilisée au quotidien. Elle souligne que « la violence n’est pas de la sexualité », que le viol n’est pas de la sexualité, que les individus sont éduqués « à être des deux genres » et que l’hétérosexualité occupe un place primordiale dans la définition de chaque genre. Cet horizon « non choisi et désiré, cette destinée n’a pas la même force pour les dominants et les dominées ».

Christine Delphy ajoute « Aussi quand Dworkin écrit que les hommes baisent les femmes et que l’acte sexuel c’est ça, combien de femmes peuvent-elles entendre cela ? » ou « Or Dworkin écrit, dans tous ses livres, et dans celui-ci aussi, que la baise est dans notre culture une humiliation : pas telle ou telle baise mais toutes les baises. Là réside la source du malaise pour nombre de féministes » ou bien encore « Dworkin dit que ce ne sont pas des scories mais des éléments constitutifs de la sexualité patriarcale, que la volonté d’humilier, de rabaisser, d’annihiler la personne-femme n’est pas spécifique à tel ou tel type de baise, mais qu’elle existe dans la définition, dans le cœur – qu’on voudrait pur – de l’acte sexuel hétérosexuel ». Nous sommes au centre du discours, de l’analyse de cette auteure. D’où un malaise probablement ressentie par les femmes lectrices et les hommes lecteurs qui soutiennent les féministes. J’ajouterai, quitte à faire grincer des dents, que les hommes connaissent bien cette réalité et que pour la très grande majorité d’entre eux, ils n’entendent pas renoncer à leur pouvoir. Voir le très beau livre de Léo Thiers-Vidal : De « L’Ennemi principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination(Editions L’Harmattan Paris 2010, « Toutes les femmes sont discriminées sauf la mienne ».

Christine Delphy souligne aussi la noirceur du tableau de la domination dressé par Andrea Dworkin et montre pourquoi certaines femmes « choisissent pour elles-mêmes et recommandent aux autres d’adopter un rôle et une place traditionnels ». Elle ajoute « Si Dworkin comprend les « femmes de droite », c’est qu’elle partage avec elles un pessimisme radical, en tout cas en apparence. C’est ce qui rend son message si difficile à entendre par les femmes qui ne sont pas « de droite » ; par celles qui ne sont pas résignées au statu quo, et luttent pour un changement qu’elles croient possible, et parce qu‘elles le croient possible. L’intimité sexuelle est censée être en dehors du social ; non seulement elles la croient exempte des rapports de force hors chambre à coucher, mais elles croient que c’est là qu’elles ont une chance de rattraper leur désavantage vis-à-vis des hommes ; l’amour est toujours présenté comme le pouvoir des femmes, comme l’antidote à la domination ». Elle poursuit sur une série de questions concernant le « saisissement » et le retournement, de gains du mouvement féministe, par les hommes, comme armes contre les femmes.

Christine Delphy parle aussi de la « prééminence et de l’obsession du coït largement partagée dans toutes les cultures du monde », du coït comme représentation (« l’interprétation de la pénétration coïtale ne peut pas se faire sans prendre en compte l’ensemble du contexte ») de la hiérarchie des genres, de l’hyper-sexualisation, du profond backlash en matière de sexualité.

Et que dire du vocabulaire, l’homme « prend », « possède » la femme. Vocabulaire peu atteint par les re-significations possibles de « la pratique de la copulation comme un « enveloppement » ». Sans oublier « L’ultime victoire étant d’obtenir que la femme adapte son désir jusqu’à jouir de sa propre destruction ». Comment peut-on « effacer la marque indélébile du genre », jusqu’à ce numéro 2 indiqué dans la codification INSEE.

Toujours et encore, il convient de rappeler qu’il n’y a rien de naturel dans cette construction sociale. J’ai aussi apprécié la critique menée sur les théories queer. Christine Delphy a bien raison d’ajouter, en parlant de vieille rengaine de la culture patriarcale, que celle-ci, « comme toute culture de la domination, se prétend la victime de ce qu’elle a fabriqué, et ouvre les mains dans un geste classique de désespoir ».

Elle conclue « l’humanité n’est pas condamnée à ce choix restreint », « c’est une organisation sociale, qu’on peut changer, qu’on changera par la lutte ». Pour finir par « Ce qui parait le plus noir, c’est ce qui est éclairé par l’espoir le plus vif », déjà cité.

Le livre est divisé en six chapitres :

La promesse de la droite extrême

La politique de l’intelligence

L’avortement

Juifs et homosexuels

Le gynocide annoncé

L’antiféminisme

Sans prétendre rendre compte de la richesse ce livre, de ses analyses complexes illustrées d’exemples, montrant une connaissance intime des situations étasuniennes et une grande radicalité dans la recherche, je choisis, subjectivement, des éléments. Je n’ai pas été capable de faire une note plus ramassée, plus synthétique. Il fallait de l’espace pour ces fortes paroles, pour ces puissantes analyses… D’où une présentation découpée en plusieurs « épisodes »

A suivre….

« La liberté des femmes face à l’oppression de sexe a de l’importance ou elle n’en a pas ; soit elle est essentielle, soit elle ne l’est pas. Décidez une fois de plus ».

Andrea Dworkin : Les femmes de droite

Traduit de l’anglais (américain) par Martin Dufresne et Michèle Briand

Editions du remue ménage, Collection Observatoire de l’antiféminisime, Montréal (Québec) 2012, 265 pages

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