Syrie, ne pas rester dans le silence
Syrie, ne pas rester dans le silence
« À toi jeune européen, ce livre voudrait t’aider à sortir d’une torpeur, nommer quelques-unes de tes angoisses, et t’aider à y faire face. Il est possible que pour les Syriens la révolution soit déjà ratée, comme cela a été le cas pour d’autres peuples les Afghans, les Congolais ou les Sahraouis. Peut-être est-il vrai que nous sommes passés d’une dictature horrible à une horreur anarchique innommable. Mais pour la société syrienne le temps était venu, le glas avait sonné, le changement devait advenir. […] Il pourrait y avoir des comités « amitié Syrie » qui se forment dans toutes les villes où le nom de la Syrie deviendrait le nom d’un rêve qui nous est cher et pour lequel nous nous engageons, qui n’est pas seulement un rêve de démocratie et de justice pour ce peuple morcelé, chassé, torturé, mais également le nom d’une conscience civile renouvelée. Une conscience capable de signer les peurs et les effrois qui ont permis à ce régime et aux dérives extrémistes qui les justifient, de survivre pendant quarante ans. »
Paolo Dall’Oglio dans La rage et la lumière, p. 24-25, mai 2013.
Lorsqu’en octobre 2012 j’ai demandé à Paolo Dall’Oglio de reprendre la plume pour témoigner du drame syrien les conditions d’écriture étaient bien différentes de celles qui avaient prévalu en mars 2008 au moment de la rédaction de son premier livre Amoureux de l’Islam, Croyant en Jésus. Expulsé de Syrie, son pays d’adoption, depuis juin 2012, profondément bouleversé par la tragédie qui s’amplifiait Paolo Dall’Oglio a simplement répondu : « Si vous croyez que cela peut aider, yallah, allons-y ! » « Yallah ! », une expression qui de façon régulière a ponctué ses phrases tout au long du travail. Se dire qu’il faut reprendre la route, continuer, faire confiance. Se donner du courage : « Yallah ! », un souffle pour signifier que les choses doivent se poursuivre quoiqu’il en coûte.
« Si vous croyez que cela peut aider… » Oui, ce travail d’écriture a été fait dans la conviction que le livre pouvait aider, que l’on soit d’accord ou pas avec son auteur. Qu’il fallait susciter les questions et le débat autour du drame syrien, en parler, parler de ce qu’il implique comme souffrances pour les Syriens mais également les questions auxquelles nous autres Occidentaux ne pouvons-nous soustraire concernant des principes comme les droits de l’homme, la solidarité et la justice internationales…
« En débattant de la Syrie, toi et ton voisin, chrétien, musulman, juif ou autre c’est de vous dont vous parlez, vous discutez de vos propres relations. Quand les Européens évoquent la Syrie, ils parlent de leur destin et ne savent pas choisir : l’absence ou la résignation. » (p. 21)
Lorsque nous nous sommes retrouvés en mars pour finaliser le manuscrit, la fatigue de Paolo Dall’Oglio était visible, de même que sa tristesse : complexité de la situation, émergence d’un islam radical, mort des amis des divers camps, atermoiements des pays occidentaux, Et durant tout ce travail d’écriture, et de relectures scrupuleuses, avec l’énergie et la détermination qui sont les siennes, Paolo Dall’Oglio, n’a eu de cesse de reprendre les événements, de clarifier son propos, d’expliquer les enjeux, de répondre aux interrogations nombreuses qui étaient celles de l’équipe de l’Atelier : ne pas rester dans l’impuissance et l’indifférence, œuvrer pour la démocratie et la reconnaissance de l’autre partout où cela est possible sous des formes personnelles ou collectives parce derrière le drame syrien c’est bien la question de l’histoire de la communauté humaine et de ses nécessaires solidarités qui surgit.
« La guerre civile est notre naufrage et il en va de la qualité de notre prochaine démocratie d’arriver ou non à conserver le pluralisme et l’harmonie syrienne. » (p.189)
À travers ce livre que nous avons choisi d’intitulé La rage et la lumière. Un prêtre dans la révolution syrienne que Paolo a rédigé avec Églantine Gabaix-Hialé, en avril dernier, c’est comme un cri que Paolo lâchait devant la barbarie, libérant en cela notre propre cri devant tant de douleurs et de violences.
Nous n’avons plus de nouvelles de Paolo Dall’Oglio depuis le 28 juillet dernier. Fidèle à sa mission, et devant un drame qui lui était devenu insupportable, Paolo est retourné en Syrie, à Raqqa, pour négocier la libération d’otages et tenter d’engager une médiation entre Kurdes et islamistes. Le silence qui suit sa disparition devient terrible.
Comment imaginer alors que son message de fraternité et de paix que nous souhaitons continuer de propager malgré son absence, son cri de rage face aux replis de toutes sortes, sa foi en l’homme et en Dieu, ne puissent pas être repris et amplifié aujourd’hui par ceux et celles qui comme lui se sentent concernés par les combats des hommes ?
« Yallah ! »
Arielle Corbani, éditrice, Editions de l’Atelier