Edito février 2015
Parmi les réponses à apporter aux attentats terroristes de janvier, des voix officielles ou non, font appel au religieux. Il faudrait, par exemple, augmenter le nombre des imams en prison, il faudrait étudier « le fait religieux » à l’école sans qu’on sache d’ailleurs clairement quelle est la finalité d’une telle revalorisation. Veut-on nous suggérer que l’étude des religions joue un rôle privilégié pour engendrer la tolérance ? C’est là une position fort contestable. En tant que féministes, nous nous interrogeons sur ce retour pour le moins inquiétant du religieux. En effet, nous avons dû affronter les forces religieuses qui, toujours, tendent vers l’immuable, vers un monde où tout est identifié et où les sexes – et surtout les femmes – ont une place qui serait intangible. Ainsi, au début du 20ème siècle, dans un contexte de conflit entre l’Eglise catholique et la République, il s’agissait de s’opposer aux prescriptions judéo-chrétiennes impliquant une soumission des femmes à leur père, à leur mari et leur assignation à la vie privée. Dans les années 1970, le mouvement féministe s’inscrit dans un climat indifférent aux religions ou carrément hostile. De Dieu on ne parlait guère même si, dans les faits, les luttes pour les droits à la contraception, à l’IVG, à la liberté sexuelle s’opposaient aux morales religieuses. A partir des années 1980, on constate une montée des pouvoirs religieux dans le monde chrétien, musulman et juif, qui se radicalisent, remettant sans cesse en cause les acquis féministes, tout en recourant à des actions d’une rare violence des deux côtés de la Méditerranée et Outre-Atlantique. Partout des femmes, des féministes, des progressistes se sont élevés pour contrecarrer ces régressions et ont tiré la sonnette d’alarme contre cette emprise politique du religieux qui s’inscrit dans des rivalités de pouvoir et qui, d’ailleurs, ne concerne pas que les femmes. Pourtant, ces voix n’ont guère été entendues car c’est une constante de marginaliser les enjeux des luttes féministes par rapport à ce que seraient les « vrais » enjeux géopolitiques. On en voit le résultat aujourd’hui.
L’islamisme a déjà une longue histoire. Rappelons que l’une de ses composantes essentielles, la confrérie des Frères Musulmans, est un mouvement né en Egypte en 1929 et qui a entrepris de diffuser, d’abord dans son pays d’origine, puis dans d’autres pays, une idéologie à la fois religieuse, morale, sociale et politique. L’objectif étant de restaurer le califat dans le monde musulman et, à long terme, à l’échelle de la planète. Le développement international de l’islamisme, dans lequel les Etats occidentaux ont aussi une part de responsabilité, appelle des réponses internationales.
Sur le plan national, voici quelques points qui nous paraissent importants :
Il est nécessaire de lutter efficacement contre les inégalités sociales, économiques, les discriminations qui touchent tout particulièrement les quartiers dits « sensibles ». Cependant cette lutte pour plus de justice et d’égalité doit s’effectuer au niveau social et politique, sans passer par le religieux.
La laïcité n’est pas la tolérance car cette dernière n’implique pas l’abstention absolue de la puissance publique en matière religieuse. « Il n’est pas impossible, par exemple, qu’une législation sur le blasphème soit adoptée en pays tolérant au motif de la reconnaissance d’un groupe culturel ou d’une minorité ». (Catherine Kintzler) De fait, l’établissement des tribunaux islamiques au Canada n’a pu être évité que grâce à une mobilisation internationale. Quant aux « accommodements raisonnables » au Québec, ils deviennent vite déraisonnables.
Brisons la représentation d’une « communauté musulman » comme une entité monolithique.
N’oublions pas que, tout de suite après l’assassinat des dessinateurs de Charlie Hebdo, des centaines d’intellectuels issus du monde arabe ont signé un manifeste défendant la liberté. Parmi eux, des personnalités diverses, des dissidents comme Salman Rushdie, des imams, ou encore l’écrivain Algérien Kamel Daoud condamné à mort par une fatwa.
« Ce que d’aucun appelle les limites de la liberté d’expression ne sont en réalité que les chaînes qui nous empêchent de réfléchir, de nous interroger, de revendiquer des changements et des réformes. En Occident, ils ont fait l’expérience de l’Inquisition. Nous, nous la vivons aujourd’hui.» Elham Manea, militante yéménite des droits humains. (Extrait du Courrier international, janvier 2015)
Marie-Josée SALMON, Monique DENTAL.
(Extrait du Bulletin du Réseau Féministe « Ruptures » n° 361-Février 2015).