Lettre ouverte d’une binationale franco-néo-zélandaise à François Hollande.
Lettre ouverte d’une binationale franco-néo-zélandaise à François Hollande.
Monsieur le Président de la République Française,
Je prends rarement ma plume pour écrire à un chef d’État, mais lorsque la situation me paraît grave, je le fais. J’ai écrit à David Lange, Premier ministre de mon pays natal, la Nouvelle-Zélande, suite aux événements du Rainbow Warrior, car j’étais en désaccord avec la déportation des deux agents de la DGSE, les «faux époux Turenge», vers l’atoll de Hao en 1986. J’ai écrit à Jacques Chirac, président de la République Française, en juin 1995, lorsqu’il avait décidé de reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique Sud. Je ne puis rester silencieuse, vingt ans plus tard, en 2015, face à votre volonté de faire modifier la Constitution afin de déchoir de leur nationalité française les binationaux nés français qui auraient commis des actes de terrorisme.
Je suis née et j’ai grandi en Nouvelle-Zélande. J’ai choisi de venir en France pour suivre un cours intensif de français d’une durée d’un mois. Je ne suis pas repartie. C’était il y a 36 ans, en 1979. J’avais 18 ans. Peu à peu, j’ai appris le français et j’ai fait toutes mes études supérieures en France, jusqu’au doctorat. Neuf ans après mon arrivée, j’ai décidé de demander la nationalité française. Je vivais, je travaillais et je payais des impôts en France depuis presque une décennie, mais je ne pouvais pas voter. À cette époque, je ne pouvais pas non plus voter en Nouvelle-Zélande, car la loi néo-zélandaise stipulait que si un ressortissant était parti vivre ailleurs depuis un certain nombre d’années, il perdait son droit de vote. C’était mon cas. Je ne votais ni en France ni en Nouvelle-Zélande.
Demander la nationalité française me semblait une suite naturelle à mon parcours. Avant de poursuivre en ce sens, j’ai toutefois vérifié que je ne perdrais pas ma nationalité néo-zélandaise: «Home is where one starts from», comme l’écrivait T. S. Eliot dans «East Coker». J’étais d’abord néo-zélandaise et l’idée de perdre ma nationalité de naissance me paraissait inconcevable. Heureusement, c’était possible d’être naturalisée et, dans mon cas, de devenir binationale franco-néo-zélandaise. J’ai obtenu la nationalité française par décret en mai 1990, après deux ans de démarches. J’étais comblée de pouvoir afficher officiellement ma double appartenance, qui correspondait à ce que je ressentais. Deux ans plus tard, je suis devenue maître de conférences en linguistique-informatique, au département des sciences du langage, à l’université Paul-Valéry Montpellier 3.
Mon fils, Saji, est né en 1999, à Montpellier. Par conséquent, il est né français. Il a pu obtenir la nationalité néo-zélandaise par filiation maternelle. Il est donc binational né français. L’autre jour, nous discutions de l’actualité et je lui ai demandé s’il se sentait plutôt français, plutôt néo-zélandais; il a été incapable de m’indiquer une préférence, me répondant: «I feel like a citizen of the world.» C’est cette ouverture, Monsieur le Président de la République, que j’espère avoir transmise à mon fils. Il est bilingue français-anglais, multiculturel, à l’aise dans différents pays lorsque nous voyageons. La double nationalité, à mon sens, doit être un atout et non un obstacle.
Je suis profondément choquée, voire scandalisée, qu’un gouvernement –qui se dit être de gauche, et pour lequel j’ai voté en toute confiance, désormais bafouée– puisse envisager une seconde la déchéance de nationalité française pour les binationaux nés français. On me rétorquera que cela ne touchera qu’une petite minorité. Certes. Mais les terroristes ne se sentiront pas concernés par cette mesure, ou si peu. Comme le soulignait Samir Khebizi dans une lettre ouverte récemment publiée dans Libération:
«Quels binationaux sont réellement visés par cette mesure? L’islamisme radical n’est pas une nationalité à ma connaissance et je ne connais pas de personnes détentrices d’un passeport franco-terroriste.»
Vous me semblez «perdre le nord», Monsieur le Président de la République. Je vous conseille vivement la (re)lecture de Nord Perdu de Nancy Huston. On comprend, dans son essai, le combat des exilés, des expatriés:
«Le caractère totalement singulier de l’enfance, […] et le fait qu’elle ne vous quitte jamais: difficile pour un expatrié de ne pas en être conscient, alors que les impatriés peuvent se bercer toute leur vie d’une douce illusion de continuité et d’évidence.»
Attaquer le symbole du droit du sol français est, pour moi, d’une violence inouïe, et me rappelle des périodes sombres de l’histoire. Monsieur le Président de la République, veuillez abandonner cette initiative, à mon avis hautement néfaste pour les valeurs futures de la République.
Rachel Panckhurst 5 janvier 2016.