Pour la panthéonisation d’Olympe de Gouges
Signatures Collectives 14 décembre 2022
Monsieur le Président de la République,
L’œuvre et les combats d’Olympe de Gouges gardent une actualité saisissante.
Tandis que les femmes étaient exclues des institutions politiques, elle s’est emparée avec une audace et un courage exemplaires de la scène littéraire et théâtrale puis de la parole politique pour concourir au débat public. Elle est la seule femme de la Révolution à avoir été guillotinée pour avoir publié des écrits politiques.
Elle a montré aux femmes la voie de l’engagement dans une république moderne. Sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, adressée à la reine en septembre 1791, réclame l’accès des femmes à la pleine citoyenneté, elle les encourage à prendre leur destin en mains et à contribuer résolument à l’histoire en marche. Elle est aujourd’hui considérée dans le monde entier comme l’un des textes fondateurs du féminisme.
Animée par l’esprit des Lumières, mais elle-même autodidacte, Olympe de Gouges souligna la nécessité d’instruire autant les filles que les garçons et prôna l’ouverture aux femmes de tous les métiers, toutes les fonctions et toutes les responsabilités. S’opposant aux vœux comme aux mariages forcés, elle défendit le respect du choix des jeunes filles, trop souvent enfermées de force dans des couvents ou contraintes de se marier selon les intérêts de leur famille. Elle proposa de remplacer le mariage par un pacte civil entre époux égaux, révocable si nécessaire. Indignée par l’indifférence aux souffrances et à la mortalité des femmes en couches, elle recommanda la création de maternités.
Avant même la Révolution, en bataillant pour que soit jouée sa pièce de théâtre qui dénonce l’esclavage des Noirs, elle s’est exposée à la vindicte de la partie de l’aristocratie enrichie par la traite. Cette pièce, dans laquelle un esclave est gracié après avoir tué un intendant coupable de viol et de sadisme, fut jugée « incendiaire » par le parti des colons. En dépit de menaces de mort, elle l’a affronté crânement, le qualifiant de « parti injuste, oppressif et inhumain ». Jacques-Pierre Brissot, fondateur de la Société des amis des Noirs, et l’abbé Grégoire, membre de la première heure de cette association abolitionniste, ont rendu justice à son courage. Soucieuse de la « chose publique » que la guerre, la contre-révolution et les émeutes menaçaient, Olympe de Gouges a usé de tous les moyens dont elle disposait pour faire connaître ses propositions philanthropiques, ses projets de réforme et ses « réflexions utiles », les adressant tour à tour aux députés, au roi, à la reine, au duc d’Orléans, au prince de Condé, aux généraux de l’armée, aux clubs politiques, aux ministres, aux sections de Paris et aux citoyens. Les deux dernières années de sa vie, elle en appela à l’opinion publique à travers une campagne d’affiche sans précédent. Dépensant sans compter pour diffuser ses idées, elle est morte pauvre.
Sensible aux « horreurs de la misère dans le grand hiver », au malheur causé par les accidents du travail, elle a proposé l’ouverture d’« établissements de bienfaisance » pour les ouvriers au chômage ou leurs veuves, pour les « vieillards sans force et les enfants sans appui ». Elle se soucia du sort des mères sans soutien et plaida pour la libre déclaration de paternité ainsi que pour la reconnaissance des enfants nés hors mariage et leur droit à l’héritage. Elle a défendu le droit au travail, et préconisé d’ouvrir des ateliers publics pour employer les manœuvres sans emploi. Afin de rembourser la dette de l’État, elle conseilla des impôts volontaires ou proportionnels au train de vie.
Dès novembre 1788, c’est au peuple qu’elle demande de juger si elle « pense en bonne citoyenne » (Lettre au peuple ou le projet d’une caisse patriotique). Au même moment, elle exhorte la noblesse à « laisser de côté le rang, les titres et ce vain préjugé de ses dignités idéales » pour collaborer au salut du pays (Remarques patriotiques, novembre 1788). Elle approuve publiquement la réunion des États généraux et le serment du 17 juin 1789, qui engage les députés à ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution aux Français. Elle n’estime le pouvoir du roi légitime que si, le tenant de la nation, il le voue à assurer son bonheur. Elle lui demande instamment de prendre la mesure de la misère du peuple et d’y parer. Elle le prie de consacrer « l’égalité de tous les citoyens » et d’« ôter [aux émigrés absolutistes] tous moyens, toute espérance de rétablir les droits tyranniques de la féodalité et de conspirer contre leur patrie » (L’esprit français, mars 1792).
Craignant tout autant le despotisme que l’anarchie et le « droit d’égorger les citoyens impunément », elle pensait, comme beaucoup à l’époque, que la République et la monarchie constitutionnelle se conciliaient. « Je suis née avec un caractère républicain, et je mourrai avec ce caractère. Si dans mes écrits patriotiques, j’ai paru défendre la monarchie constitutionnelle, c’est que j’ai redouté tous les malheurs qu’entraînerait la chute de la monarchie », précisa-t-elle en 1793 (Œuvres de la citoyenne de Gouges dédiées à Philippe).
En novembre 1792, déçue par la trahison de Louis XVI, elle avait d’ailleurs déclaré que « les rois sont des vers rongeurs qui dévorent la substance du peuple jusqu’aux os ». Elle ne s’est offerte à défendre l’homme lors de son procès que par humanité et par refus de la violence. Dès 1789, elle avait alerté : « Ne souillez jamais vos mains dans le sang de vos semblables ». (Le bonheur primitif de l’homme).
Après la chute de la monarchie, le 10 août 1792, elle presse les députés de la Convention de mettre fin à leurs dissensions, profitables aux contre-révolutionnaires et nuisibles à la France. Au moment des massacres de septembre, elle s’oppose à ceux qui prétendent que le sang doit couler pour que révolutions il y ait et prévient que « le sang même des coupables, versé avec profusion et cruauté, souille éternellement ces révolutions » (La fierté de l’innocence ou le silence du véritable patriotisme, septembre 1792). En dénonçant les prémisses de la Terreur, elle risque sa vie. « L’héroïsme et la générosité sont aussi le partage des femmes, et la révolution en offre plus d’un exemple », observe-t-elle (Olympe de Gouges, Défenseur officieux de Louis Capet, 16 décembre 1792).