Non, la loi prostitution n’a pas tué Vanesa Campos !
Arrêtons la désinformation, la loi prostitution ne met pas les personnes prostituées en danger de mort : Non, la loi prostitution n’a pas tué Vanesa Campos !
· Par Céline Piques et Christine Blec
Arrêtons la désinformation, la loi prostitution ne met pas les personnes prostituées en danger de mort.
La loi du 13 avril 2016 vise à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées pour qu’elles puissent en sortir. La France s’est enfin dotée d’une législation ambitieuse, à la hauteur de la situation catastrophique vécue par les personnes prostituées. En imputant à la loi la responsabilité des violences qu’elles subissent, des associations se revendiquant de défense des droits humains assument vouloir supprimer les premières dispositions concrètes jamais prises en soutien aux personnes prostituées. Nous affirmons que lutter contre cette loi c’est lutter contre la sécurité des femmes.
Les prostituées instrumentalisées et mises en danger
Le féminicide de Nicoletta, une jeune femme roumaine, par un « client » prostitueur, en mai 2018, près de Nîmes avait été perpétré dans l’indifférence générale. Août 2018 a été marqué par un nouveau meurtre: celui de Vanesa Campos au Bois de Boulogne.
Cela a été l’occasion d’une nouvelle récupération cynique des violences quotidiennes subies par les personnes prostituées par ceux qui souhaitent l’abrogation de la loi du 13 avril 2016.
Nous nous indignons particulièrement que Médecins du Monde, une association humanitaire, utilise la reconnaissance internationale dont elle bénéficie pour mettre en danger les personnes prostituées en demandant au Conseil d’Etat d’invalider la pénalisation du « client ». Pour justifier ses actions, Médecins du Monde utilise une étude partiale, coordonnée par une chercheuse (1), par ailleurs ancienne co-responsable de la mission parisienne de soutien aux personnes prostituées, à partir de l’hypothèse que l’interdiction d’achat d’acte sexuel serait responsable d’une augmentation de la violence.
Cette affirmation ne s’appuie sur aucun fait objectif (il n’existe pas d’évaluation chiffrée des violences constatées), l’étude se contentant d’aligner des entretiens avec des personnes choisies au sein des associations hostiles à la pénalisation du « client ». Rappelons que plusieurs de ces associations, en particulier le STRASS, demandent également l’abrogation des lois sur le proxénétisme (2), et une reconnaissance de la prostitution comme un travail, comme le fait l’Allemagne depuis près de 20 ans. Outre-Rhin, 69 personnes prostituées ont été tuées depuis lors. En Suède, pays qui a inspiré la législation française, aucun meurtre n’a été constaté.
La désinformation, ça suffit!
Il est temps de rétablir la vérité: il est impossible, seulement 2 ans après le vote de la loi et alors que la pénalisation des « clients » n’est appliquée que de façon sporadique dans quelques départements français, de faire un bilan de son effet sur les violences subies par les personnes prostituées. Le Mouvement du Nid qui rencontre près de 5000 personnes par an sur le terrain dans 26 départements, constate cependant que les remontées de faits de violences ne sont pas plus nombreuses que les années précédentes.
Rien dans « l’étude » de Médecins du Monde ne permet de faire un lien objectif avec la loi du 13 avril 2016. Un peu d’honnêteté intellectuelle aurait pu amener l’ONG à faire état de ce qui détériore effectivement les conditions de vie des personnes en prostitution: le durcissement des politiques vis-à-vis des migrant·e·s et l’augmentation inédite de la traite des êtres humains à des fins d’esclavage sexuel.
Ce qui est incontestable, c’est que la loi n’est pas pleinement appliquée sur le territoire. Vouloir l’abroger avant même de voir les effets de sa réelle application, c’est priver les personnes prostituées des nouveaux droits et perspectives que leur offre une loi exigeante et cohérente. Ce que Médecin du Monde semble oublier, c’est la situation catastrophique à laquelle cette loi a l’ambition d’apporter des solutions.
L’abolition du système prostitueur est une urgence
Depuis plus de vingt ans, nous relatons chaque meurtre de personnes prostituées(3). Parce que nous pensons qu’elles comptent. En 2012, nous avions dénombré trois victimes, en 2013 cinq, en 2014 six et en 2015 sept. Avant la loi. Quant aux violences physiques, sexuelles, psychologiques subies quotidiennement par les personnes prostituées, elles sont innombrables.
Pour la première fois en France, une loi transversale vise à apporter des solutions pour considérer celles et ceux qui ont toujours été mis.es au ban de la société, sacrifié.e.s.
Rappelons ce à quoi ces « défenseurs des droits humains » voudraient nous faire renoncer: la dépénalisation des personnes prostituées, la reconnaissance de la circonstance aggravante en cas de violences commises à leur encontre, l’octroi d’un titre de séjour automatique pour les victimes reconnues de la traite des êtres humains, une allocation financière – certes modeste – pour les personnes qui n’ont pas d’autre ressource, une autorisation provisoire de séjour pour les personnes en parcours de sortie, une commission dans chaque département mettant en place un plan de prévention, d’assistance et de protection des personnes prostituées… Enfin la considération de la violence prostitutionnelle, et la levée de l’impunité des agresseurs.
L’urgence est aujourd’hui d’appliquer cette loi sur l’ensemble du territoire. En plus d’être une exigence démocratique, c’est une chance d’obtenir, enfin, un réel recul du nombre de victimes de la prostitution.
Il est indigne d’instrumentaliser le meurtre d’une personne prostituée pour honnir une loi progressiste qui affirme enfin que les personnes prostituées ne sont pas des délinquantes, que les clients « prostitueurs » sont responsables, et que les proxénètes sont bien des criminels.
(1)Hélène Le Bail, coordinatrice de l’étude, était co-responsable en 2016 du « Lotus Bus », antenne de Médecins du Monde qui intervient auprès des personnes prostituées chinoises à Paris.
(2) sur le site du STRASS: « nous réclamons la disparition du code pénal des dispositions sanctionnant spécifiquement le « proxénétisme ».
(3) http://prostitutionetsociete.fr/politiques-publiques/droits-des-personnes/article/in-memoriam
(Cet article a été également publié dans le Huffpost du 22-23 septembre 2018)