Edito avril 2009
Le 8 mars, le président Obama a sorti de son chapeau un lapin à six pattes, un « concept » innovant, celui de « taliban modéré, autant dire extrémisme modéré. Voilà qui nous plonge dans un abîme de perplexité : le « taliban modéré » permet-il aux femmes de parler dans la rue ? Les lapide-t-il avec de grosses pierres pour hâter l’opération ? Cache-t-il ses armes en public pour éviter de faire peur ? Jusqu’à présent, aucun expert n’avait décelé cette nouvelle espèce. Heureusement, grâce à la merveilleuse perspicacité de Richard Holbrook, envoyé spécial du gouvernement américain en Afghanistan, nous découvrons que « seuls 5% des talibans sont irrécupérables, que 25 % ne sont pas tout à fait sûrs de leur engagement et que 70 % les rejoignent pour des raisons financières ». (Le Monde, 12 mars 2009) La durée de l’étude et les méthodes utilisées nous restent inconnues. Qu’importe. La précision des pourcentages permet de mesurer l’abîme de notre ignorance : tout espoir de collaboration avec les dits talibans ne serait pas perdu. En somme, ce sont de braves garçons qui, certes sont un peu rudes avec les femmes, mais c’est parce qu’ils ont été entraînés par le mauvais exemple des 5 % d’« irrécupérables ».
Pourquoi cet inquiétant changement de cap ? L’idée d’un accord avec les talibans affublés, pour les besoins de la cause, de l’épithète « modérés » révèle en fait les difficultés du gouvernement américain et de l’OTAN face à l’offensive croissante de ces intégristes religieux qui contrôlent une partie du pays, situation que le vice-président américain résume ainsi : « Aujourd’hui nous ne gagnons pas la guerre mais elle est loin d’être perdue ». Grâce aux « talibans modérés » ?
Les talibans sévissent non seulement en Afghanistan mais aussi dans les zones tribales du Pakistan. Le 12 mai 2008, le gouvernement local de la Province Nord-Ouest de ce pays avait signé un accord avec des groupes talibans, lequel reconnaissait leur administration sur 45 % de la province en échange d’un cessez-le-feu. Aussitôt sont harcelés les fillettes qui vont à l’école, les policiers chargés de les protéger, les femmes non conformes à la loi islamique. Début janvier 2009, Shah Durran, chef religieux local, lié au mouvement des talibans locaux, a menacé de faire exploser les établissements scolaires accueillant les filles. Le Réseau Féministe « Ruptures », soutenu par de nombreuses associations, a d’ailleurs adressé une lettre à l’Ambassade du Pakistan a Paris pour lui faire part de ses inquiétudes et de son indignation. Le 19 janvier, cinq écoles de filles et de garçons ont été détruites à l’explosif, destruction qui s’ajoute à des centaines d’autres. Des milliers de Pakistanais ont d’ailleurs fui la région. Le 16 février 2009, le gouvernement local de la province du Nord-Ouest (à la frontière de l’Afghanistan) signe un nouvel accord avec un chef proche des talibans qui réclame l’application stricte de la loi islamique dans toute la région en échange d’une promesse de paix. 4 mars 2009 : attaque terroriste à Lahore (Pakistan).
Force est de constater que ces mouvements religieux intégristes n’ont rien de modéré. De plus, ils se jouent des frontières entre le Pakistan et l’Afghanistan et leur moral est dopé par le recul de l’Etat. Pourquoi accepteraient-ils de négocier maintenant qu’ils sont en position de force ? La voie qui consisterait à « acheter » la paix par une négociation, un accord avec les talibans est lourde de graves menaces : le gouvernement américain, l’OTAN pourraient être tenus pour responsables des graves atteintes aux droits humains qui ne manqueraient pas de se produire. Et les femmes en seraient à coup sûr les premières et les principales victimes. « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur, vous aurez le déshonneur et la guerre », avait averti, en son temps, Winston Churchill.
Marie-Josée SALMON.
(Extrait du Bulletin du Réseau Féministe « Ruptures » n° 303 – avril 2009)