Edito mars 2009
Elle s’appelle Sampat Pal Devi. Elle vit en Inde, dans l’état de L’Uttar Pradesh, l’une des régions les moins développées du pays. Son récit, en collaboration avec Anne Berthod, intitulé : Moi, Sampat Pal, chef de gang en sari rose (2008) nous retrace son parcours singulier. Issue d’une modeste famille de gardiens de troupeaux, elle s’est dressée très jeune contre les discriminations sociales, notamment à l’égard des femmes des basses castes et contre la corruption administrative.
Ses parents, analphabètes, n’avaient pas songé à l’envoyer à l’école (On n’a pas besoin de lire et d’écrire pour cuire un chapati – pain indien). Et c’est d’abord en se cachant derrière un pilier de l’école qu’elle découvre la lecture et l’écriture. Mariée à douze ans, elle rejoint son mari environ un an plus tard et devient vite mère. Très jeune, elle s’insurge contre l’abus de pouvoir d’un homme de la caste supérieure des brahmanes et assure son autonomie financière en confectionnant des vêtements. C’est à un « meeting de sensibilisation sociale » qu’elle découvre « des mots nouveaux : droits, émancipation. Pour la première fois, des dizaines de personnes mettaient des mots sur quelque chose que je ressentais de façon instinctive ». Et c’est ainsi qu’elle va consacrer sa vie à faire connaître les droits des femmes, mais aussi à lutter contre tous les archaïsmes de la société, source d’injustices. La voilà en guerre contre le système des castes qui, officiellement, a disparu depuis longtemps mais qui, en fait, est toujours en vigueur, en particulier dans les zones rurales. Elle mène toutes sortes de combats : organisation de cours de couture, luttes contre la corruption administrative, contre les abus de pouvoir des riches propriétaires qui usurpent les terres communales légalement attribuées aux plus pauvres. Jusqu’alors, elle s’était appuyée sur des groupes informels de femmes pour mener ses actions. En 2003, Sampat Pal créé sa première organisation officielle « Pour la promotion des femmes des tribus du monde rural ». Puis, avec l’aide d’un ami plus informé des questions administratives, elle constitue des groupes d’entraide. Le but est de rassembler plusieurs personnes (souvent des femmes pauvres) qui puissent mettre leurs maigres économies en commun afin de créer une activité. Mais les prêts accordés par l’Etat ne parviennent pas à leurs destinataires. En 2006, à quarante-cinq ans, elle décide alors de former une association plus structurée, plus reconnue, plus visible. Et pour commencer toutes porteront un sari rose. Le « gulabi gang » vient de naître (« gulabi » signifie rose en hindi). Rude est la tâche qui attend ce groupe car si « les lois sont modernes, du fait d’une administration gangrénée par la corruption, elles ne sont pas appliquées ». L’Etat, par exemple, a fixé à 23 % la part du budget destinée à aider les femmes mais, sur le terrain, la réalité est bien différente.
Cette association n’est pas une forme d’assistanat social : « Nous sommes un groupe solidaire dont les membres s’entraident. Quand nous secourons une personne, elle doit s’engager en retour « et payer une cotisation pour le fonctionnement. Quand il s’agit d’une affaire importante touchant à la passivité des élus, à la corruption des fonctionnaires, ces femmes se réunissent pour définir une stratégie. D’abord, faire une enquête sur le terrain, déposer une plainte auprès de la police et face au refus – fréquent – de l’enregistrer, se rendre en groupe chez le « magistrat du district » ou tout autre responsable, prévenir la presse, encercler le bâtiment, faire un sit-in jusqu’à obtenir satisfaction. Mais, parfois, surgissent des difficultés : on accuse Sampat Pal de faire partie d’un groupe terroriste. Accusations sans fondement qui finissent par s’évaporer…
Le pouvoir de ces femmes, c’est leur détermination absolue de faire régner la justice, leur union totale, leur volonté inflexible de changer la société. « Je sais que ma cause est juste. Et cette certitude m’enlève toute peur ».
Marie-Josée SALMON.
(Extrait du Bulletin du Réseau Féministe « Ruptures » n° 302 – mars 2009)