Combien de femmes seront-elles lésées par la réforme des retraites ?
Combien de femmes seront-elles lésées par la réforme des retraites ?
Alternatives Economiques , 16 Janvier 2023
Conjugué au féminin, le report de l’âge légal prévu par le gouvernement est loin d’être neutre. Si les femmes liquident en moyenne leur pension de retraite à 63,2 ans, contre 62,7 ans pour les hommes, 33 % des nouvelles retraitées en 2021 arrivent tout de même à faire valoir leurs droits à taux plein dès 62 ans, selon l’Assurance retraite.
Un départ obligatoire à 64 ans lèserait en particulier les mères de famille. Alors qu’en 2020, selon la Drees, 123 000 femmes ont pu ouvrir pour la première fois leur droit à la retraite à l’âge légal avec tous les trimestres requis, elles devront désormais travailler un an de plus, voire deux ans pour les générations nées après 1968.
Les femmes peuvent en effet bénéficier de 4 trimestres supplémentaires par enfant au titre de la maternité, et de 4 autres au titre de l’éducation (pouvant être répartis avec les pères depuis 2010). Cette mesure, mise en place en 1972 pour compenser les conséquences des inégalités de carrières entre hommes et femmes sur les niveaux de pension, permet ainsi à de plus en plus de mères de partir parfois plus tôt que leur compagnon, à carrières complètes comparables.
A lire Alternatives Economiques n°430 – 01/2023
Partir plus tôt pour raisons familiales
En décalant l’âge légal, la réforme annule ainsi ce temps d’avance que les organisations syndicales considèrent comme justifié pour compenser les inégalités professionnelles et la répartition des tâches domestiques qui échoit encore majoritairement aux femmes.
« C’est une grave injustice, compte-tenu de l’implication des femmes dans l’éducation des enfants et leur contribution à l’avenir de la nation. Beaucoup de femmes ont bâti leur projet de vie sur les conditions actuelles. Et en l’absence de solutions de garde, certaines ont dû interrompre leur carrière », relève Gérard Mardiné, secrétaire général confédéral du syndicat des cadres, la CFE-CGC.
Alors qu’en 2020, 123 000 femmes ont pu partir à la retraite à l’âge légal avec tous les trimestres requis, elles devront désormais travailler un an de plus, voire deux ans pour les générations nées après 1968
Faute d’avoir validé assez de trimestres, 12 % des femmes sont parties à la retraite en 2021 à l’âge de 67 ans (contre 9 % des hommes), c’est-à-dire à l’âge d’annulation de la décote. L’exécutif a bien insisté sur le fait que cette borne qui permet de percevoir enfin sa retraite à taux plein sans pénalité quels que soient le nombre de trimestres, ne serait pas remise en cause.
En 2010, lors du passage du 60 à 62 ans, l’âge d’annulation de la décote avait en effet grimpé de 65 à 67 ans. Pour autant, si elle n’aggrave pas la situation pour ces femmes, la réforme ne l’améliore pas non plus. Pour peu qu’elles aient connu des interruptions de carrière, les femmes qui occupent des emplois mal payés et en temps partiel dans des secteurs comme le commerce ou l’aide à domicile continueront de devoir partir à 67 ans. Pour elles, financièrement, le système de majoration n’est « pas suffisant », souligne la secrétaire confédérale de la CGT Catherine Perret, en charge des retraites.
Seule amélioration en la matière prévue dans la réforme : les périodes de congé parental – quel que soit l’âge auquel les femmes auront eu un enfant – seront prises en compte dans la limite de 4 trimestres afin de partir avec le dispositif de carrières longues ainsi que dans le calcul du minimum de pension de celles qui ont travaillé plus de 30 ans. Réservée aux mères ayant commencé à travailler avant 20 ans, cette mesure ne devrait concerner que 3 000 femmes par an.
La réforme apparaît d’autant moins neutre qu’hommes et femmes n’ont pas les mêmes comportements en matière de départ à la retraite.
« Alors que les hommes tendent davantage à décaler leur départ en retraite sous l’influence des incitations financières [la surcote NDLR], les femmes qui ont une petite pension vont plus souvent privilégier la date d’ouverture des droits, relève Julie Tréguier, économiste à l’Institut national des études démographiques (Ined). On peut faire l’hypothèse que les femmes tiennent aussi compte du contexte familial dans leur décision de départ, afin de prendre soin d’un parent dépendant ou des petits-enfants. »
Cette tendance est très nette pour les femmes de trois enfants ou plus, selon ses analyses. Et à moins que les systèmes de garde ne s’améliorent rapidement, le décalage de l’âge légal aura une incidence sur les proches, grands-mères comme grands-pères, qui s’occupent des petits-enfants en bas âge, pendant que leurs parents travaillent. Selon la Drees, le service statistique des ministères sociaux, 21 % des enfants de moins de six ans étaient gardés par leurs grands-parents de manière régulière pendant la semaine en 2013.
Les femmes du baby-boom sont fatiguées
Ce changement brutal de régime aura également du mal à passer auprès des cohortes toutes proches de la retraite, en raison de la nature des emplois occupés par ces générations. Les femmes travaillent plus que leurs aînées, et c’est une bonne nouvelle, mais les pensions ne suivent toujours pas. La faute à des salaires plus bas. L’écart entre retraités et retraitées reste de 40 % pour les pensions de droit direct. Il n’est plus que de 28 % grâce aux pensions de réversion. A cela s’ajoute la pénibilité du travail.
« Les femmes du baby-boom ont commencé à travailler sur des postes d’ouvrières et d’employées, qui ont été les premiers à avoir été féminisés. Ces générations ont à la fois connu l’usure professionnelle et la charge du travail domestique », remarque Catherine Perret.
A la différence des hommes, les femmes « sont plus susceptibles de rester longtemps dans un emploi avec des pénibilités » en raison de parcours « globalement moins ascensionnels », relevaient l’Agence nationale d’amélioration des conditions de travail (Anact) et l’administration centrale du ministère du Travail (Dgefp), dans un rapport conjoint publié en 2019.
Ultra majoritaires dans certains domaines, comme le nettoyage, le secteur de la santé ou l’action sociale, elles sont par ailleurs « exposées à des risques moins visibles », tels que le travail répétitif, des postures contraignantes, des contraintes de rythme, un manque d’autonomie, l’exposition à des risques biologiques (infections) ou chimiques. Depuis 2018, certains de ces facteurs de risques professionnels ne sont plus pris en compte dans le compte pénibilité (C2P). Ce qui empêche d’acquérir des trimestres supplémentaires afin de partir plus tôt à la retraite.
La réforme prévoit la création d’un fonds d’un milliard d’euros pour les reconversions professionnelles et un suivi médical renforcé pour les personnes exposées à ces risques. Dans ce dernier cas, certaines pourront alors partir de manière anticipée, après avoir été cassées par le boulot. Un temps trop tard.