« Aux féministes, aux femmes », appel d’Hélène Brion contre la guerre en juillet 1914
« Aux féministes, aux femmes », appel d’Hélène Brion contre la guerre en juillet 1914
Cet article fut publié dans La Bataille syndicaliste, quotidien officieux de la CGT, le 30 juillet 1914.
Hélène Brion était une institutrice syndicaliste, féministe et socialiste. Elle fut pendant la guerre militante pacifiste « zimmerwaldienne » (se réclamant de la Conférence internationale de Zimmerwald), et participa à l’action du Comité pour la reprise des relations internationales.
Aux féministes, aux femmes
« Dans la période d’agitation que nous traversons, insensée qui se croit neutre, criminelle qui se dérobe ! » Ces paroles d’André Léo aux femmes de la Commune, nous pouvons les récrire aujourd’hui. Que chacune y réfléchisse, pendant qu’il est temps encore ! La guerre est là. Dans quelques jours peut-être, une effroyable crise bouleversera l’Europe : les horreurs que vous avez lues sur la guerre russo-japonaise, sur la guerre des Balkans, le cauchemar terrible de 1870, il faudra revivre tout cela. Que ferez-vous alors, vous qui, en ce moment, par paresse d’esprit, vous refusez de croire à la guerre ?
Vous dites : « Cela s’arrangera ! Ce serait trop bête de se faire tuer pour ces histoires-là ! Au fond, personne ne veut se battre ! » Oui, c’est le tragique de la chose : personne n’y veut croire, tant ce serait horrible, et, grâce à cette nonchalance générale et aux mauvaises volontés sournoises de nos maîtres, le conflit, dont nul ne veut, peut éclater demain.
Osez-vous voir ce qui sera alors ? Quelle vie sera la vôtre, femmes, dont les fils, les frères, les hommes seront sous les drapeaux ? Ne croyez-vous pas qu’un mouvement de révolte au grand soleil, pendant qu’il en est temps encore, serait préférable aux longues heures d’angoisse et de déchirement que vous vivrez alors, n’osant plus crier, n’osant plus protester par crainte de faire du tort à vos aimés, esclaves et muettes comme vous l’avez toujours été ? N’êtes-vous pas lasses de ces souffrances séculaires que ces grands enfants fous que sont les hommes vous imposent ? Quand ils étaient plus petits et que leur ardeur bruyante se dépensait en taloches mutuelles, n’étiez-vous pas là pour les séparer, ces batailleurs en herbe ? Vous leur expliquiez alors combien il est vilain de se battre et que les meilleurs poings ne prouvent pas la plus solide raison. Pourquoi, aujourd’hui encore, ne vous dressez-vous pas entre eux ?
Et vous, féministes, vous qui avez l’habitude de l’action en groupe, vous qui luttez depuis si longtemps et étiez sur le point de voir aboutir de bien chères espérances, ne comprenez-vous pas le recul immense qu’une guerre européenne ferait subir à la pensée ? Ne sentez-vous pas que notre effort, pour des années, serait perdu ? Pourquoi ne pas essayer de le sauver en vous dressant devant l’obstacle avant qu’il ne nous écrase ? Nous nous sommes trouvées 20.000 dans la rue pour Condorcet ; nous nous sommes trouvées plus de 500.000 pour réclamer par écrit le droit de vote ; il faut que nous soyons des millions pour crier partout notre haine de la guerre et notre ferme volonté de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour l’empêcher.
Oui, tout, je le répète. En commençant par les paroles de bon sens et de persuasion, qui oserait nous blâmer d’agir ainsi et nous en punir ? N’est-ce pas notre rôle et le droit le plus sacré qu’on nous ait jamais reconnu ? Protestons donc, toujours, partout, dans la rue, à la maison, à l’atelier, au bureau, à tous les moments de notre journée, contre le crime qui se prépare. Nous le pouvons, nous le devons, c’est le premier et le plus impérieux de nos devoirs. Remplissons-le d’abord pleinement et jusqu’au bout.