Les violences faites aux femmes n’ont pas été considérées comme une grande cause nationale

Les violences faites aux femmes n’ont pas été considérées comme une grande cause nationale

Interview Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, dresse un premier bilan, un an après le vote de la loi instaurant notamment l’ordonnance de protection.

Propos recueillis par Valentine Pasquesoonere.

La plate-forme téléphonique du 3919, numéro d’appel destiné aux femmes victimes de violences conjugales, le 20 mai 2010 à Paris. (AFP Jacques Demarthon)

Une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint. Déclarée «grande cause nationale» pour 2010 par François Fillon, la lutte contre les violences faites aux femmes a donné lieu au vote d’une loi le 9 juillet 2010. Responsable de l’Observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis – département précurseur en la matière -, Ernestine Ronai dresse le bilan de cette loi et de l’action menée en France contre les violences conjugales.

Le 9 juillet 2010 était votée la loi contre les violences conjugales, instaurant entre autres une nouveauté: l’ordonnance de protection. Un an après, peut-on dire que cette mesure est correctement appliquée?

Je parle à l’échelle de la Seine-Saint-Denis, mais selon moi, oui, l’ordonnance de protection est appliquée de manière efficace. Dès octobre 2010 – moment de l’application de la loi – il y a eu un vrai partenariat entre tribunaux de police, associations et services du département (services sociaux, services de protection maternelle et infantile). En novembre, l’Observatoire a proposé que soit signé un protocole pour une mise en application de cette ordonnance. Nous avons rendu visible cette idée auprès des professionnels. Ainsi, dès les cinq premiers mois d’application, 80 ordonnances de protection ont été délivrées, sur 85 demandes. En Val-de-Marne, seules trois ont été données, sur 29 demandes.

Il faut dire qu’on voit depuis longtemps une sensibilisation à cette cause dans le département. En 2009, quand l’on recensait la mort de 24 femmes en quatre ans en Seine-Saint-Denis, du fait de violences conjugales, nous avons demandé cette ordonnance de protection et décidé de mettre en place un téléphone portable d’alerte, que seul le Bas-Rhin applique par ailleurs. Nous ne cherchons pas à être les meilleurs sur le sujet. Ce que nous voulons, c’est une généralisation de ces mesures. Mettre correctement en place cette loi demande une mobilisation de l’ensemble des acteurs.

Une autre mesure prise par cette loi est la création du «délit de harcèlement psychologique». Aujourd’hui, n’y a t-il pas des difficultés à son application ?

Si cette mesure est en effet difficile à mettre en oeuvre. Le problème qui règne est celui de la présentation d’une preuve pour confirmer le délit: comment, en effet, prouver qu’il y a bien eu violence psychologique? Mais ce qui est très important, c’est que l’on sait désormais que souvent, les violences commencent par des violences psychologiques.

Le conjoint insulte la personne, la dévalorise pour mieux la casser. Cette fragilité laisse ensuite la porte ouverte aux violences physiques. Avec l’instauration de ce délit, on peut enfin dire aux femmes: « Quand il te dit que tu es nulle, que tu es conne, oui, c’est du harcèlement psychologique. » Cela va aussi aider les gendarmes, la police et les travailleurs sociaux à comprendre cette violence-là. Un rapport devait être rendu fin juin sur la formation de ces professionnels aux réalités de ces violences. Cela n’a pas été fait, c’est un point crucial à améliorer.

Aujourd’hui, peut-on dire que la loi a ouvert la voie à une généralisation des mesures déjà implantées en Seine-Saint-Denis? Voit-on déjà un certain recul de ces violences conjugales ?

La prise de conscience, nous y arrivons. On comprend que c’est réellement un problème social. Ce qui marche et peut être exportable partout, c’est l’efficacité du partenariat, notamment entre collectivités territoriales. Mais il n’est pas possible de constater un recul des violences aujourd’hui, il est encore trop tôt pour cela.

Il faut d’abord encourager les femmes à porter plainte, à demander des ordonnances de protection. A l’heure actuelle, nous n’observons même pas d’augmentation du nombre de plaintes pour violences conjugales. D’où l’importance d’un travail d’information, reproductible au niveau de l’Etat. Mais il faudra attendre fin novembre pour les premiers résultats chiffrés sur l’efficacité de la loi. Il faut lui laisser le temps de faire ses preuves.

Cette loi a t-elle permis une allocation de budgets supplémentaires à la lutte contre les violences faites aux femmes ?

Il manque d’abord des moyens humains. Rien qu’en Seine Saint-Denis, il nous manque trois postes de juges aux affaires familiales, sur neufs actuels. Du côté du gouvernement, le relevé des besoins est excellent, c’est l’allocation des budgets qui est mauvaise. Roselyne Bachelot (ministre des Solidarités et de la cohésion sociale) nous dit qu’il faut un centre d’accueil par département, c’est très bien. Mais décider d’y allouer un budget annuel de 40.000 euros est ridicule, cela revient uniquement à un salaire. Les ressources manquent, alors que le coût social des violences faites aux femmes est très important.

Le gouvernement a déclaré la lutte contre les violences conjugales «grande cause nationale» en 2010. Avez-vous le sentiment que cela a vraiment été considéré comme tel par les pouvoirs publics ?

A mon sens non, cela n’a pas vraiment été considéré comme grande cause nationale. Mais le fait qu’on en ait parlé en 2010 est positif. Une loi a été votée, le projecteur a été mis sur les femmes victimes de violences. On voit que les choses avancent, et chaque pas que l’on fait est important.

Aujourd’hui, sur quelles mesures les pouvoirs publics doivent-ils s’attarder en priorité dans cette lutte ?

Premièrement, faire appliquer la loi. C’est déjà très important, une évaluation sur l’application de ces mesures doit d’ailleurs avoir lieu en septembre. Deuxièmement, élargir le droit à l’ordonnance de protection: elle ne concerne aujourd’hui que les femmes victimes de viols dans leur couple, et non les femmes victimes de viols tout court.

Nous plaidons ensuite pour la création d’un observatoire national des violences envers les femmes, comme émanation d’observatoires départementaux. Il ne s’agit pas seulement de faire de cette lutte une cause nationale, le travail doit se faire sur le long terme. Il faut plus de volonté politique, plus de moyens, et une meilleure formation professionnelle sur le repérage de ces violences. Mais je suis optimiste, je pense qu’il y a quelque chose d’entendu de la part des responsables.

Comment peut-on expliquer, neuf ans après la création du premier observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, qu’il y ait un blocage au sein des autres départements ?

Je ne sais pas comment l’expliquer. Peut-être y a t-il une peur de l’observation ailleurs? Créer l’observatoire ici a demandé un véritable courage politique, et démontre une lucidité: on aurait pu stigmatiser le département pour cela, il est au contraire devenu un vrai laboratoire d’innovations. Il y a une vraie dynamique départementale sur la question.

12 Juillet 2011

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