Edito décembre 2011
La fabrique des rôles sexués : promenade dans le monde des jouets
Les Galeries du Grand Palais à Paris accueillent pour la première fois une très riche exposition consacrée aux jouets. Ils sont près d’un millier provenant de prestigieuses institutions européennes, américaines, ou prêtés par des collectionneurs. Tous ponctuent à leur manière l’histoire du jouet, de l’âne en terre cuite trouvé dans une tombe romaine jusqu’à l’astronaute à piles. Parmi ces milliards de jouets, comment choisir ? Cinq critères ont été retenus : ceux fabriqués en série, ceux d’exception, ceux des grands fabricants, les jouets d’artistes et enfin ceux qui ont marqué l’histoire.
La collection de jouets raconte, à sa manière, qui nous sommes. L’enfant peut certes donner libre cours à son imaginaire, il n’empêche qu’il n’utilise que ce qu’on lui donne tout prêt et qui traduit les aspirations, les mythes, les techniques de la société adulte ainsi que son évolution. L’ours de foire muselé, peu rassurant et bien réel, va devenir un gentil ourson en peluche, les automates du XIXème siècle, qui évoquaient l’univers des petits métiers de Paris, laissent place au monde des robots qui créent l’illusion de la vie. L’influence des divers médias, du conte pour enfants en passant par la bande dessinée, a fait basculer la fabrication du jouet dans une nouvelle ère. Quelle distance entre la candide Bécassine, les poupées de chiffon Nicolas et Pimprenelle de l’émission « Bonne nuit les petits », et Dark Vador, héros maléfique, cauchemardesque de la saga « Star wars » qui, dans les années 80, marque le début de l’explosion des produits dérivés faisant de l’enfant un petit propriétaire pantouflard !
Le cœur de l’exposition présente, avec une distance critique, deux parties distinctes : les jouets destinés aux petites filles et ceux conçus pour les garçons. Deux domaines dont l’histoire est faite de métamorphoses mais aussi de permanence révélant à quel point les enfants sont enfermés dans des stéréotypes archaïques. Le monde des petites filles est le plus souvent limité à la maison tandis que celui des garçons franchit les espaces, l’eau, la terre, le ciel, rêve de conquêtes et de vitesse. En chanvre ou en bois au Moyen Age, les poupées deviennent au XXème siècle de vrais succès commerciaux ; l’éditeur de la Semaine de Suzette lance en 1905 « la poupée qui suit la mode » et dès la première semaine 20 000 exemplaires sont vendus. Grande astuce : sa garde robe ne cesse de se renouveler ! Une curiosité : les poupées offertes par la France en 1938 aux princesses Elisabeth et Margaret. Vêtues de robes du soir signées de grands couturiers, parées de bijoux Cartier, elles symbolisent le luxe parisien. Enfin, on ne compte plus les maisons miniature, les dînettes, les aspirateurs fidèlement reproduits. Quel bon moyen de préparer la petite fille à accepter son rôle de maman et de « bonne ménagère » ! Si les filles adoptent parfois des jouets de garçon, l’inverse n’est pas vrai et le rejet du jouet de l’autre ne cesse de croître avec l’âge. Au rayon des garçons, ce ne sont que trains, voitures, fusées, sous-marins. Dans une vitrine apparaît même un modèle unique, la voiture Aston Martin, directement issue des premiers films de James Bond. Tout y est : pare-balles, éjecteurs d’eau, mitrailleuses .. La conquête de l’espace a aussi des aspects militaires. Une vaste salle est entièrement consacrée à la guerre : étonnante collection qui va des petits soldats de plomb aux figurines en plastique d’aujourd’hui, des canons de la guerre de 14 aux armes les plus sophistiquées. La figure du soldat peut aussi servir de propagande à la gloire de l’armée, comme ce G.I. apparu au début de 1960 aux Etats-Unis mais piteusement escamoté après la guerre du Vietnam.
Ce monde adulte en miniature met en évidence la puissance et la permanence de stéréotypes qui assignent des qualités propres aux filles et aux garçons. Cette emprise sur les enfants, on la retrouve d’ailleurs chez certains éditeurs de livres pour la jeunesse qui vendent de l’archaïsme à grand renfort de publicité : « Bienvenue aux robes à crinoline, aux pin-up éplorées, aux orphelines couturières » (présentation de la collection Blackberry chez Soleil). Marketing et sexisme primitif font bon ménage. Une solution : le boycott.
Marie-Josée Salmon.