Pour une 6e République fondée sur des valeurs paritaires

Pour une 6e République fondée sur des valeurs paritaires

Pour déconstruire les formes universellement masculines de la représentation, pour que les femmes puissent bénéficier de la légitimité de plein droit à la participation politique aux postes décisifs, pour mettre un terme constitutionnel à la conception universaliste et androcentrée de la représentation, on a tout essayé, il n’y a plus d’autre choix que l’instauration d’une nouvelle République basée sur des valeurs intrinsèques de parité et qui remettent fondamentalement en question le patriarcat sous toutes ses formes, autoritaires, autocratiques, hiérarchiques, masculines.

Partant du constat que la gauche est confrontée à une crise profonde de la démocratie, des défis se posent à nous pour y répondre, y compris en termes institutionnels, afin de la dépasser : une piste est de penser la transformation des institutions en cohérence avec la transformation de la société toute entière. Le positionnement féministe radical à tous les niveaux :

– induit un projet de société qui fait rupture avec la société traditionnelle dans ses définitions mêmes
– fait rupture dans la conception même des relations de domination familiale qui est le lieu de l’apprentissage de la violence sexuelle, de toutes les violences et de la construction sexuelle de la relation d’exploitation
– fait rupture avec le néolibéralisme
– fait rupture avec le climat ambiant de marchandisation généralisée : des Etats, des pays, mais aussi de la sexualité, des femmes considérées de plus en plus que comme des corps , des corps comme marchandises.

Finalement, au-delà de ce qui se voit, au-delà de ce qui transparaît, et qui peut paraître à certain-es comme bien loin des incidences directes de la Constitution sur la société, et bien postulons que c’est un tout, dans le droit fil des théories marxistes qui parlent ailleurs de « structure » et de « superstructure » qui sont étroitement interdépendantes et qui forment l’édifice des règles collectives de la société. Le regard féministe qui se pose en tant qu’analyse transversale de la société sur la Ve République ne voient que manquements et essoufflements. C’est sur la base de ces critiques qu’il s’agit de construire une nouvelle République, exempte des lourdeurs sexistes et patriarcales de ces prédécesseures, nées sous la plume exclusive d’hommes, pétris d’une vision du monde et de son organisation sous domination masculine, ethno- et androcentrée. Une nouvelle République qui ne tolèrera aucune coutume (par essence sexiste) pour toutes les femmes sans distinction. Il ne peut y avoir de « droit à la différence culturelle » pour échapper ou contourner l’égalité. Toutes les religions prônent des valeurs et des préceptes littéralement « illégales » « contraires aux lois en vigueur dans ce pays ». La « hiérarchie des normes » sera strictement rappelée et appliquée. Une loi antisexiste constitutionnellement garantie sera dotée de réels moyens d’application et de sanction.

Du point de vue de la politique locale

Du point de vue des institutions, « l’appareil d’Etat » est en cause. Voilà vingt années au moins, que l’organisation politique française est en crise : crise de la représentation, crise des institutions, crise de la démocratie représentative, crise du système qui sous-tend « ce » tout : crise de la constitution. Suivant le niveau d’intérêt et de préoccupation des un-es et des autres, ont entend ici et là que le pouvoir du Président de la République est trop illimité et celui des parlementaires pas assez, quand ce n’est pas celui du Gouvernement. C’est un point de vue qui se défend certainement, mais qui ne traite pas directement du problème qui nous importe le plus : le niveau territorial, le niveau où sont les citoyen-nes de ce pays. C’est pourtant la constitution qui fixe les modalités de vote et d’élection, de répartition des pouvoirs entre « centre et périphérie » comme est nommée pudiquement en français la hiérarchie idéologique entre la centralisation parisienne et le reste de la France.

Alors certes, il y a eu des tentatives par des modifications successives de la Constitution, de transformer le fonctionnement des institutions de la Ve République. Mais, dans la mesure où elle puise son existence dans des fondations radicalement patriarcales, autoritaires, hiérarchiques, directives à tous les niveaux de décisions, et à tous les échelons politiques, la modifier par des touches successives revient à amonceler des couches stratifiées de feuilles de papier mais pas à la réorienter fondamentalement.

En outre, il s’agit de prendre en considération la réalité d’aujourd’hui, une réalité du XXIe siècle que ne peut pas s’approprier ce monstre quintal, à l’allure épouillée. Le pouvoir local s’est complexifié. Tous les élu-es le savent, s’en plaignent, la société européenne, internationale d’aujourd’hui n’a pas les outils de son fonctionnement dans une écriture ancienne. La décentralisation, lorsque l’on combat le nationalisme et l’ethnocentrisme francilien, on ne peut être que pour. A condition qu’elle se fasse dans de bonnes conditions, celle du transfert total des missions et des moyens. Or, plus le pouvoir est transféré, plus le travail de l’élu-e se complique en terme administratif et en terme procédurier. On se trouve face à des décalages d’enjeux, décalages de moyens, décalages de règles. Le rôle primordial joué par le niveau européen n’a pas été lui non plus prévu par la constitution de la Ve République. Il s’agirait maintenant qu’il le soit, pour mieux le combattre ou l’intégrer, mais qu’il le soit d’autant que les budgets s’y trouvent de plus en plus. De même que n’était pas prévu dans ce règlement intérieur de la France des institutions, le niveau des communautés de communes et d’agglomération. Or, où est donc passé le règlement démocratique du pouvoir en ces lieux ? Pas prévu. Voilà, avec la Ve République, le risque c’est l’éternel recommencement de la spoliation du pouvoir par des hommes qui s’auto décrètent « incarner » parfaitement la figure masculine du pouvoir dans la démocratie représentative, dont on ne veut plus. On ne veut plus de ces manières de faire. On ne veut plus d’hommes qui se décrètent plus supérieurs que les autres : quels autres ? Il n’y en a que deux. Plus que les femmes et plus que les personnes qui ne partagent pas leur vision du monde. On ne veut plus d’une démocratie représentative, qui permet à ce type d’individu de trouver une légitimité dans cette spoliation des décisions et des projets de société, mais d’une démocratie participative.

Du point de vue de la démocratie participative

Du point de vue de l’organisation et des modalités de la démocratie, ce système de représentation n’est plus acceptable, il n’est même plus viable. Il y en a assez d’être traitées comme des personnes sous tutelle. Finalement, c’est bien çà, la démocratie représentative. « Donne-moi ton aval une fois par décennie et tais-toi le reste du temps, de toute façon tu ne sais rien et moi je sais tout ». Quelle représentation ! On a vu, on n’en veut plus. Donc, la nouvelle Constitution doit être basée radicalement sur de nouvelles valeurs, qui ne s’inventent pas aujourd’hui, qui nous accompagnent sans doute depuis la Révolution culturelle de mai 1968, mais qui n’ont pas réussi à remplacer des valeurs obsolètes sinon légales, mais toujours prépondérantes qu’avaient laissé subsister la Constitution de 1958.

La rédaction de la Constitution instituant une démocratie participative nécessite quelques modalités d’organisation tout à fait opposées à celle d’une organisation représentative. Tout d’abord, ce qui fonde le contrat social de la société – traversée par des disparités culturelles et intellectuelles – doit être accessible, lisible et compréhensible par tout le monde, sans chausse-trappes ni double-sens et, non pas réservé à quelque-uns qui s’en empareront pour l’interpréter en lieu et place de tous et toutes. L’entre soi, ça doit être terminé.

Deuxième conséquence dans la rédaction d’une Constitution pour une démocratie participative, l’organisation politique et institutionnelle ne devra plus être organisée autour des partis politiques qui sont des machines à rapter la démocratie aussi au niveau où se trouvent les citoyen-nes : le niveau local. Les partis politiques sont aussi des machines à maltraiter et mépriser les femmes, particulièrement les féministes qui se battent contre les inégalités masculines (dans le sens inverse que l’on emploie habituellement), on devrait s’appliquer à s’en passer au motif d’un nouvel adage : « ce qui est bon pour nous (féministes) est bon pour la France ».

Du point de vue de l’égalité et de la parité

Du point de vue de l’égalité et de la parité, la Ve République s’avère finalement un échec. Certes, c’est sous ce régime qu’ont eu lieu les plus grandes avancées en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le droit formel, et même, que la parité restrictive – en politique, puis bientôt peut-être dans le monde professionnel – a été proclamée. Mais les faits sont là : les inégalités en défaveur des femmes sont pléthores des écarts de salaires aux postes électifs en politique, dans la sphère économique et financière, dans la sphère domestique et familiale. S’il en est ainsi, c’est que les arrangements à la marge (de la Constitution) n’ont pas remis en cause ses fondements véritables.

Nous féministes avons pourtant prouvé s’être essayées à améliorer cette Ve République. Quelque part, on y a cru, en acceptant des solutions peu satisfaisantes au final, comme celle d’avoir inséré une nouvelle phrase stipulant « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux postes électifs » ( loi du 6 juin 2000 appelée « loi de la parité »). Il faut rappeler ici, que ce n’est pas ce que nous voulions. Nous voulions une loi électorale « garantissant » la parité de postes élus. Pas des tergiversations avec la réécriture dans la Constitution d’un concept déjà présent, celui de « l’égalité entre les femmes et les hommes ». Faut-il donc que cette Constitution soit un leurre pour qu’il faille perdre une énergie et un temps considérable à revoter la réécriture du principe fondamental de l’égalité entre les femmes et les hommes dans chacun de ses chapitres ? C’est cette expérience, celle d’avoir été patientes, qui nous inspire aujourd’hui la conviction que maintenant, ça suffit. Ces promenades ne peuvent plus durer.

Nous voulions, et nous le voulons toujours, que la parité soit proclamée comme un principe fondamental d’organisation et des valeurs de la société française, dans toutes ses sphères : privée, domestique, professionnelle, politique, grammaticale, etc. Nous voilà en 2006 et nous avons peu avancé en matière de disparition de ces discriminations sexistes. On n’avancera pas plus vite tant que nous serons coincé-es dans un système idéologique qui n’embrasse pas à bras-le-corps ces valeurs.

En outre, les bilans que l’on peut tirer maintenant des premiers mandats « post-paritaires » ( élections ayant eu lieu après l’an 2000, année de « la loi »), sont très clairs tant au niveau local que national : les partis politiques ont préféré payer des pénalités financières énormes plutôt que de se mettre en conformité avec la pseudo-loi pour la parité. Là où les femmes ont été élues en nombre, aux niveaux municipaux et régionaux, cela s’est très mal passé : nombres ont été démises de leurs délégations, parfois ont été virées de leur poste sans ménagement en violation totale des lois et règlements, violentées par des « élus démocratiques et représentatifs» qui se sont auto-décrétés plus représentatifs que les « élues démocratiques et représentatives ».

De la violence contre les femmes

La parité doit être inscrite dans la vie quotidienne, dans la sphère privée, parce que la division sexuelle du travail reste profondément ancrée dans la société, et que la contrainte familiale, la conciliation vie professionnelle/vie familiale se fait à la charge exclusive des femmes. Tant que la majorité des femmes considéreront l’exploitation domestique et la division sexuelle du travail comme normale et naturelle, les inégalités sexuelles se maintiendront.

En outre, la violence contre les femmes reste une pratique très courante en France, dans toutes les sphères de la société : insultes, harcèlement moral à caractère sexiste, harcèlement sexuel, coups, viols, meurtres restent des pratiques banales et le milieu politique n’en est pas exempt. Une République paritaire est une République qui sévit là où c’est inacceptable. Or, il semblerait que la Ve République trouve parfaitement acceptable que chaque jour des femmes meurent de la violence des hommes. Nous, non. Et l’on veut que ce soit clairement écrit dans la nouvelle Constitution.

Sandra Frey
Sociopolitologue

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