La dimension du genre dans l’engagement politique alternatif

La dimension du genre dans l’engagement politique alternatif

L’optique de l’engagement politique féministe alternatif se situe exactement à l’articulation de la construction d’une alternative politique basée sur le fondement qu’il faut partir de l’égalité des sexes.

La situation économique des femmes en France, qui représentent pourtant près de 50% des actifs, reste insatisfaisante, au regard de l’écart permanent entre leurs qualifications et les emplois qu’elles obtiennent, se traduisant très directement par des échelles de salaires inférieures à celles des hommes, créant des inégalités économiques donc politiques. On ne peut passer sous silence, si l’on parle non pas du travail mais de l’emploi des femmes, des temps partiels imposés, des ravages de la politique familiale gouvernementale qui en les incitant à se retirer du marché du travail ne les sert assurément pas à long terme. Mais le contexte dont on ne peut faire l’économie est celui-ci.

Ce qui est intéressant, c’est qu’à partir de ce fait, on peut commencer à construire ou déconstruire ce qui est et ce qui doit être en termes de projet politique alternatif. C’est arriver à changer radicalement de perspective, c’est accepter de renoncer à toutes les représentations assimilées pour regarder les choses d’une autre perspective, comme voir une carte plate du monde vue d’australie, où repenser ce qu’est le nord et le sud vu de paris ou de Marseille et en tirer les conséquences politiques.

Alternative, quel type d’engagement aujourd’hui dans notre société ?

La crise profonde de la représentation qui perdure dans notre société depuis deux décennies met en exergue le décalage toujours plus grand entre les attentes et les aspirations citoyennes et les forces politiques traditionnelles. A l’heure de la société de l’information, de la transparence, du tout électronique, la « démocratie de représentation » apparaît de plus en plus comme une « démocratie de délégation » et par là-même carrément virtuelle.

Dans ce contexte, l’engagement politique alternatif trouve sa pertinence dans le projet politique de construire de nouvelles perspectives sur le long terme et d’enclencher un processus qui permette l’émergence d’une nouvelle culture politique. Ce que l’on a appelé les nouveaux mouvements sociaux, qu’ils se situent dans les années 70 ou dans les années 90 avec la mobilisation contre l’extrême droite, plus récemment l’altermondialisme ou l’exigence de parité entre les deux composantes de l’humanité, les femmes et les hommes, quelles que soient leurs catégories sociales, leurs ethno-cultures, leurs appartenances et leur diversités ; sont porteurs des transformations des institutions afin de les faire évoluer et de les mettre en adéquation entre terminologie et réalité.

Qu’est-ce que les luttes féministes nous enseignent ?

En réinterrogeant le politique, le mouvement féministe radical des années 70 a amené un certain nombre de problématiques sur la scène politique :

des ruptures conceptuelles ont montré que le privé est politique, que la politique est à l’œuvre dans la maison, que les discriminations faites aux femmes s’enracinent dans la famille. Les droits fondamentaux relèvent du politique.

les rapports de domination se situent aussi et également encore et aujourd’hui dans la domination sexuelle, que Bourdieu a nommé, la « domination masculine » et dans l’« oppression », c’est-à-dire au cœur du système idéologique qu’est le patriarcat. Or, les partis politiques traditionnels ignorent dans leurs programmes l’abolition de cette domination, ils ne parlent dans le meilleur des cas que de leurs effets visibles, les discriminations ;

Le féminisme, ce n’est pas seulement la mise en évidence de la domination sexuelle, mais d’une nouvelle conceptualisation des rapports sociaux de sexe ; En effet, rapport d’exploitation et rapport d’oppression ne se confondent pas mais se superposent. De sorte que la lutte contre les rapports de classe passe à côté de cet axe, si elle ne prend pas en compte en tant que « classe » dominée les femmes. La lutte des classes ne peut pas faire l’économie du genre.

Enfin, l’analyse féministe des années 70 a démontré que le travail domestique est une exploitation et une spoliation de la force de travail des femmes. Le travail domestique produit de la valeur, il s’agit donc bien d’une valeur d’échange et non pas seulement d’une valeur d’usage (neutre), et elle doit être reconnue au niveau de la production de la richesse (par économie substantielle), donc de la comptabilité nationale. De sorte que les conséquences théoriques et idéologiques de telles aberrations mènent à considérer le travail des femmes comme inférieur, accessoire et sans valeur. Du moins, sans « la même valeur » que le travail des hommes. Seules les féministes ont exigé cette reconnaissance fondamentale dans le débat politique et économique non pas, comme cela a été récupéré en tant que mise en place d’un salaire domestique pour faire sortir les femmes du marché du travail et les enferrer dans la famille mais en tant que reconnaissance de la valeur du travail des femmes, et pour lutter contre son invisibilisation.

Il est vrai par ailleurs que les mouvements féministes ont appréhendé tardivement leur rapport à la politique, et ont posé la parité comme moyen de sortir d’une situation séculaire, d’exclusion des femmes de la prise de décision politique, vue à travers les deux sphères, privée et publique, que les féministes ont mis en évidence comme fondement de l’exclusion des femmes du politique.

Qu’est-ce que l’alternative d’un point de vue féministe radical ?

Pour le regard politique féministe radical, alternative et alternance ne sont pas synonymes, car la seconde ne traite que d’un changement de représentation d’une tendance politique, quand la première porte d’autres valeurs poursuivant la mise en œuvre de projets à visée utopiques. L’entrée féministe en politique à fait Ruptures avec le système politique « classique » dans ses fondements.
Aujourd’hui, avec l’exigence de la parité, c’est une nouvelle pratique subversive et utopique qui permet de créer de nouvelles bases d’organisation de la société, car la parité :

remet en question la répartition du pouvoir politique entre les sexes
remet en question la répartition du travail domestique
remet en question la société civile dans son organisation patriarcale

Ce en quoi une alternative pour une politique de gauche, ne peut pas faire l’impasse sur le positionnement féministe radical à tous les niveaux, car elle induit un projet de société qui fait rupture avec la société traditionnelle dans ses définitions mêmes;fait rupture dans la conception même des relations de domination familiale qui est le lieu de l’apprentissage de la violence sexuelle, de toutes les violences et de la construction sexuelle de la relation d’exploitation ; fait rupture avec le néolibéralisme.

L’alternative politique féministe ne participe en aucun cas d’un processus d’inclusion mais se conçoit comme un processus de transformation de la société autour du rééquilibrage paritaire des sexes et des genres, une vraie alternative, la construction d’un réel, ailleurs. La politique n’est pas le monopole des partis traditionnels. Il ne faut pas se tromper d’objectif, l’ennemi commun ce n’est pas le capitalisme, ou l’impérialisme américain, c’est le patriarcat et ses déclinaisons au fondement de toutes les autres oppressions qui en découlent

Ainsi, les sujets qui fâchent ces dernières années les différents courants porteurs de valeurs alternatives de gauche, dans une perspective de convergence citoyenne, tournent non pas autour des femmes, ou de la liberté individuelle des femmes à choisir leur dominateur – personne morale ou personne physique – encore moins dans une démarche politique de trouver une voie de sortie aux violences contre les femmes – comme la prostitution ou la hiérarchisation statutaire entre les femmes et les hommes, c’est-à-dire la subordination des femmes, en violation de toutes les lois mais en conformité avec l’endoctrinement religieux – mais exactement dans la reconnaissance ou le négationnisme du patriarcat comme fondement de toutes les dominations et les oppressions.

L’expérience féministe a suffisamment de recul aujourd’hui, pour être en mesure de reconnaître qu’il n’y a aucune voie d’émancipation dans les différentes articulations du patriarcat.

Stratégie et tactique politique alternative et féministe

Parmi les résultats de ma recherche doctorale sur la dimension du genre dans l’engagement politique local, on note que les étapes que les femmes doivent franchir relèvent d’un véritable parcours de la combattante, pour pouvoir accéder finalement à des places, à des positions, à une configuration socio-psychologique et à des représentations, données dès le départ aux « autres », nombre d’hommes. Cette posture de l’homme « sachant » et « pouvant » parce qu’il est homme, et qu’il est à ce titre taillé pour porter l’habit institutionnel de l’élu, est une figure qui s’apparente à ce que j’ai nommé « l’incarnation ». Ainsi donc, pour l’instant, la figure politique est indéniablement sexuée.

Les obstacles subis, dès le local, par la « classe » des femmes qui s’engagent en politique, dans leur très grande diversité et quand bien même elles aient peu en commun, se traduisent par l’affrontement permanent au fonctionnement des hommes, à leur système de pensée et de valeurs, ce concept « d’ennemi principal » qui persiste à vouloir leur dénier l’évidence d’être des personnes humaines de même catégorie et aux mêmes titres qu’eux. Ce concept d’« ennemi principal » est un type hiérarchique de rapports sociaux, où les hommes sont impliqués en tant qu’agents et non pas en tant qu’êtres biologiques, qui persécutent partout les femmes (et les hommes) pour leur imposer des représentations d’illégitimité à l’égalité sociale, économique et politique selon lesquelles « la femme » ne sera jamais habilitée, jamais autorisée, jamais légitimée à être au même niveau … que lui.

Cette superposition et ces enchevêtrements d’obstacles représentent ce exactement avec quoi un projet politique alternatif de société doit rompre. Or, la substantifique moëlle des obstacles fait aux femmes dans la société, c’est l’idéologie patriarcale, qui place les « femmes » au centre d’une hiérarchie verticale des genres, dans l’infériorité. C’est cela que sous-tend la nébuleuse de « la tradition » dans l’organisation sociale et politique française.

J’ai menée une enquête qui à révélé le sexisme ordinaire dans la vie des gens. Il est à l’œuvre pour exclure les femmes de places dans la société où elles seraient porteuses de projets politiques ou économiques. A considérer que l’égalité dans la sphère politique ne se fera pas sans une égalité dans la société privée, que ces résultats pourraient alors contribuer à l’objectif de mise en conformité de la société française avec les lois égalistaristes en vigueur.

Quelle entité pourrait avoir la puissance de combattre cette idéologie, forte de siècles de discours médicaux biologisants, instaurant que le genre féminin ou masculin de l’appareil génital des personnes humaines détermine l’impérialisme de la domination incontestable de l’un sur l’autre, dans la dimension du genre humain ? Quelle entité si ce n’est une idéologie, par définition, politique ? Serait-il alors possible d’envisager que l’objectif de « parité totale », c’est-à-dire réalisée dans les sphères familiales, privées, professionnelles, publiques, politiques, pourrait, en sorte, devenir l’idéologie pragmatique qui peut seule combattre l’idéologie patriarcale ?

En tout cas, la stratégie politique poursuivie aujourd’hui par les valeurs féministes n’est plus de se laisser enfermer dans les partis (minoritaires) toujours de façon isolées et spécifiques. Les organisations politiques y compris de gauche, en continuant de traiter les femmes comme une question « à part » dont les droits relèveraient du traitement social, ne posent pas la question de la domination masculine comme une question politique. Nous si. Mais, il s’agit non plus seulement de travailler contre l’ennemi principal dans ses contreforts, mais dans une perspective de genre, de transformer les rapports sociaux entre les sexes, donc de déconstruire l’idéologie patriarcale au fondement de toute différenciation sociale entre les sexes. Le projet alternatif d’un point de vue féministe, travaille sur l’alternative porteuse de l’ensemble de ces éléments, afin de mettre un terme à une démocratie de spoliation pour aller vers une démocratie paritaire et participative.

Donc pour répondre à la question de l’alternative politique de gauche, en intégrant la dimension du genre, il faut maintenant s’atteler selon moi à établir de façon factuelle et pragmatique le sens politique, social, culturel, institutionnel entre les lois formelles et leur application concrète dans la réalité,

Et on ne peut pas procéder autrement qu’en déconstruisant toutes les inégalités sexuelles, et pour y parvenir, il faut commencer par abolir quotidiennement les inégalités des rôles sociaux sexués c’est-à-dire de toucher directement aux représentations mentales qui sont en chacun-e de vous.

Sandra FREY

Sociopolitologue

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