Le 8 mars, journée internationale de luttes des femmes : origine et évolution
I – Quelques traces dans l’histoire officielle
· 8 mars 1857 : une des premières grèves de femmes oppose les ouvrières du textile à la police de New York qui charge, tire et tue. Cependant cette date est contestée car aucune mention n’y est faite dans les sources américaines de l’époque, ni par les dirigeantes du mouvement féminin socialiste international qui ont pris l’initiative de cette célébration. Elle apparait pour la première fois dans la presse communiste française dans les années 50.
· Entre 1857 et 1909 : des femmes espagnoles en lutte sont brûlées dans l’incendie d’une entreprise ; des femmes françaises sont assassinées par la police.
Socialistes et communistes ont repris la tradition de la Journée internationale des femmes :
· A partir de 1909, des femmes socialistes américaines prennent l’initiative d’organiser chaque année une journée nationale des femmes pour l’égalité des droits civiques.
· C’est à la 2ème Conférence internationale des femmes socialistes à Copenhague en août 1910 que Clara Zetkin, s’inspirant de leurs actions, appelle à célébrer chaque année une journée internationale d’action des femmes. La décision est avalisée par le Congrès de l’Internationale qui suivit.
· La direction du Parti Social Démocrate allemand fixe le premier jour des femmes au 19 mars 1911, date qui n’est nullement choisie au hasard. Depuis longtemps, cette date commémorait deux évènements : la révolution allemande de 1948 à Berlin et la Commune de Paris. C’est donc sous le signe de deux dates importantes du mouvement ouvrier international que la journée internationale des femmes fut placée dès sa naissance.
· La première journée fêtée en 1911 obtint, notamment en Allemagne et en Autriche, un succès immense. A Berlin, 42 meetings eurent lieu simultanément et à Vienne, plus de 30 000 femmes défilèrent dans les rues de Vienne. En France, à ce moment là, n’existait pas de groupes de femmes socialistes capables de reprendre cette initiative. Il n’y eut donc pas de manifestation avant 1914.
· En 1913 et 1914, en Russie, les femmes socialistes célèbrent la journée internationale des ouvrières.
· La 1ère journée véritablement internationale des femmes eut lieu en définitive le 8 mars 1914. Le thème unificateur « le vote pour les femmes unira nos forces dans la lutte pour le socialisme » n’affirme pas seulement leurs convictions socialistes, mais aussi leur refus de l’enfermement au foyer, de la double morale sexuelle et leur volonté d’émancipation politique.
· 8 mars 1917 : une manifestation des femmes de Pétrograd « pour le pain, contre la guerre et le tsarisme » donne le signal de la Révolution russe (préparation d’Octobre 17).
· 8 mars 1943 : en Italie, des femmes organisent une manifestation contre le fascisme. Durant cette période, elles sont un élément moteur dans les grèves insurrectionnelles qui annoncent la chute de Mussolini. Pendant plus de quarante ans, les partis ouvriers européens ont donné une interprétation mensongère du 8 mars, réduisant l’image de la femme à celle de la femme-mère ou de la femme-paix.
· 8 mars 1945 à Ravensbruck … les femmes se retrouvent.
Dans les années qui suivirent, la tradition socialiste de la Journée internationale des femmes subi les contrecoups de la guerre puis de la scission du mouvement ouvrier.
C’est dans les années 70 avec le M.L.F. (Mouvement de Libération des Femmes) autonome des partis politiques qu’elle réapparaît.
· Le début des années 70 est marqué par la mobilisation des femmes partout dans le monde qui témoigne de l’existence de mouvements féministes organisés de façon autonome. Partout en Europe, des milliers de femmes revendiquent le libre choix de la maternité et l’avortement libre et gratuit, affirmant par là-même que la lutte des femmes n’a pas de frontière. Ce qui fonde cette solidarité, c’est le refus commun d’accepter le rôle et la place qu’on a choisi pour les femmes.
· En 1975 /76 : Au Chili, en Espagne, en Argentine, des femmes sont emprisonnées et torturées, avec d’autant plus de sadisme qu’elles sont femmes. Au Portugal, des femmes se lèvent malgré l’hostilité de tous.
· C’est à la manifestation organisée par le mouvement féministe le 8 mars 1976 en France que la journée du 8 mars prendra une autre appellation pour devenir la journée internationale de solidarité avec les luttes des femmes dans le monde.
Le mot d’ordre de la manifestation du 8 mars 1978 : « Nous vivrons ce que nous changeront » veut signifier qu’en s’organisant de façon autonome et indépendante des partis politiques, le mouvement féministe prend ses affaires en main en renouant les liens avec son passé. Pour les féministes radicales, il est le symbole de la continuité des luttes des femmes jamais interrompue.
Le contenu du 8 mars n’est plus centré principalement sur les femmes travailleuses, mais sur la situation de toutes les femmes dans l’unité de leur oppression de sexe et la diversité de leur situation sociale.
Du côté institutionnel :
· En 1975, l’O.N.U. célèbre le 8 Mars journée de la femme dans le monde.
· La Gauche parvenue au pouvoir instaure un Ministère des Droits des Femmes, nommée par François Mitterrand, Yvette Roudy sera la première Ministre des droits des femmes. Elle fera du 8 mars 1982, sera une journée chômée et payée.
· Pour les mouvements féministes aujourd’hui, la journée du 8 mars célèbre la mémoire de toutes les femmes dans l’histoire qui ont contribué par leur imagination, leur vaillance et leur persévérance à forger cette tradition de luttes pour les droits des femmes. Ces associations rendent hommage également à ces quelques hommes (en moins grand nombre il est vrai) qui se sont mobilisés à leur côté pour que les femmes obtiennent l’égalité juridique avec les hommes dans notre société.
Mais, les anniversaires appellent souvent les bilans :
· pour mesurer les chemins parcourus et faire un état des lieux ;
· pour célébrer les avancées et pointer les faiblesses ;
· pour reprendre son souffle et poursuivre l’action contre les inégalités et les exclusions dont sont encore victimes les femmes.
Telle est la portée de la journée symbolique du 8 mars.
II. Les femmes ont une tradition de luttes pour leurs droits
S’il fallait relater l’histoire de la longue marche des femmes pour les droits, les images ne manqueraient pas : lenteur, obstacles, difficultés du chemin parcouru, c’est ainsi que s’est faite l’histoire des droits des femmes, à petits pas, comme le prédisaient d’ailleurs à la fin du siècle dernier les féministes Maria Deraismes et Léon Richer. (exemple, le suffrage dénommé universel en 1848, mais qui ne l’a été véritablement qu’un siècle plus tard quand les françaises ont obtenu leurs droits politiques en 1944). De mesures en demi-mesures, de petites réformes en lois décisives, de lois répressives en ordonnance libératrice, l’histoire de la législation est cahotique. Mais c’est aussi l’histoire d’un combat, de longue haleine, entrepris par des femmes et quelques hommes pour lutter contre les préjugés, bien souvent consacrés par la loi.
Les femmes ont participé massivement, au coude à coude avec les hommes, à tous les grands combats pour l’égalité des droits en France et la liberté du peuple français, comme en témoignent notamment les révolutions de 1789, de 1848, la Commune de Paris, les grandes grèves de 1936, la Résistance au cours de la 2ème Guerre mondiale de 1940/44. En même temps, et cette fois contre des hommes, elles ont dû lutter pour leurs droits propres, syndicaux et politiques – ces droits, systématiquement négligés chaque fois que les hommes arrivent au pouvoir. Pour faire basculer le rapport de force en leur faveur, il a toujours fallu la conjonction de la participation massive des femmes aux luttes populaires et celle d’un mouvement autonome.
Deux siècles de luttes des femmes dans l’histoire leur ont permis d’accéder à l’égalité de droit avec les hommes. 50 ans de citoyenneté à part entière et plus de 30 ans d’existence d’une structure institutionnelle chargée des droits des femmes en France témoignent il y a peu de temps encore d’une avancée sur le plan juridique.
Aujourd’hui, l’égalité des hommes et des femmes est inscrite dans la loi et garantie par le préambule de la Constitution de 1946 (repris par celle de 1958). Des préjugés demeurent cependant qui limitent la portée de l’égalité juridique.
Grâce à leurs luttes collectives, les féministes ont contribué à ouvrir de nouveaux espaces de liberté pour l’ensemble des femmes. Ces dernières années ont été marquées par la prise de conscience accrue dans la société de l’étendue des discriminations que les femmes subissent, mais les mentalités patriarcales n’ont pas été profondément modifiées, et l’arsenal juridique en faveur des droits des femmes n’a pas permis de réaliser l’égalité, ni de supprimer les rapports de forces et de pouvoir entre les hommes et les femmes dans notre société. Plus encore, la question du droit à l’égalité réelle pour les femmes n’est jamais acquise.
III – Etat des lieux : la visibilité des femmes à travers les données statistiques
« Les chiffres de la disparité »
· En 1979, selon le rapport établi lors de la 37ème Conférence internationale sur l’Education, organisée par l’UNESCO :
Les femmes représentent plus de 50% de la population mondiale ;
elles perçoivent 10% du revenu mondial ;
elles fournissent 65% des heures de travail déclarées dans le monde entier ;
elles possèdent 1% de la propriété mondiale.
· 20 ans après, en 1998, lors de la Journée internationale des femmes, l’UNESCO déclare que :
– 78% des pauvres dans le monde sont des femmes, soit au total plus d’1 milliard de femmes et de petites filles ;
– plus de 540 millions de femmes sont analphabètes, soit près des 2/3 des 820 millions d’adultes analphabètes ;
– plus de 60% des 108 millions d’enfants se voient encore refuser l’accès à l’école et à l’éducation, en violation de l’un des droits les plus élémentaires de l’être humain ;
– 50% de l’alimentation du monde est produite par les femmes, alors qu’elles ne possèdent que 1% de la terre et travaillent dans des maisons qui ne leur appartiennent pas.
Ainsi, une grande majorité des femmes dans le monde n’ont ni l’accès à leur subsistance, ni leur maitrise, ni leur propriété.
En France
Ce qui caractérise la situation des femmes c’est l’égalité formelle et non réelle et la féminisation de la pauvreté.
A cela, plusieurs raisons :
· les écarts de salaires persistants : il est encore actuellement de 14,2 % supérieur à celui des femmes dans la fonction publique d’état et de 19,5 % % dans le secteur privé. Les écarts de salaires les plus importants touchent les femmes cadres (22,9 %) ainsi que les femmes ouvrières (16,6%) ;
· les bas salaires touchent particulièrement les femmes : 76,8% contre 23,2 % pour les hommes) et les très bas salaires concernent 80 % des femmes pour 20 % des hommes ;
· Les emplois à temps partiel où les femmes sont majoritairement concernées : 82,3 % en 2002. Au fil des ans, « ils sont devenus la figure emblématique de la division sexuelle du travail » (Margareth Maruani).
· Le taux de chômage des femmes est supérieur à celui des hommes, et cela à tous les âges. Selon l’INSEE, en 2003 : 11,0 % des femmes contre 8,8 % des hommes et le chômage de longue durée frappe surtout les femmes ;
· Les retraites perçues par les femmes témoignent de leurs inégalités antérieures ; elles concernent les pensions de réversion (moitié de la retraite du mari à son décès) ; quant à celles qui perçoivent leur propre retraite, celles-ci sont à l’heure actuelle inférieure de 44% à celles des hommes.
Ces effets se cumulent et contribuent à une plus grande précarité des femmes dans le monde du travail avec les répercussions négatives qu’elles entraînent :
· 4 femmes sur 10 perçoivent moins de 600 euros par mois ;
· elles sont plus nombreuses que les hommes à être allocataires des minima sociaux :
· 2003, on dénombre 15 à 20 % des mères isolées, surtout que les contraintes de la mono parentalité sont des facteurs de pauvreté accrue.
IV – Les initiatives prises autour de la journée du 8 Mars 2007 par les associations du mouvement féministe
Monique Dental animatrice du Réseau Féministe « Ruptures »