Jupe ou pantalon, une question futile ?
Marie Duru-Bellat
Jupe ou pantalon, une question futile ?
Alors que les jupes raccourcissent vu les températures printanières, osons un sujet qui apparaîtra de prime abord bien futile, tout spécialement en cette période préélectorale. Il y a environ un mois, un fait divers passé relativement inaperçu, est venu rappeler à quel point l’apparence physique et vestimentaire des femmes n’est en aucun cas anodine.
Des collégiennes d’un bourg de l’Ain ont imaginé, pour le 8 mars, venir au collège toutes en jupe pour fêter à leur façon la journée de la femme; de fait, une trentaine de filles de ce collège de moins de 500 élèves se présentent ainsi (sans tenues provocantes reconnaîtront ensuite les enseignants). Les réactions des garçons ne tardent pas : « Journée de la jupe, journée de la pute » ! Les personnels du collège, pour éviter que les choses ne dégénèrent, intiment aux filles l’ordre d’aller se changer immédiatement. Suivra tout un feuilleton local : pétition des contrevenantes soutenues par certains enseignants et parents, qui ne comprennent pas que ce soient les filles qui aient été réprimandées, échos dans la presse et tentation de vedettariat des « meneuses » (etc.), mais en aucun cas les garçons injurieux ne seront inquiétés.
Tout garçon est donc fondé, comme tout homme, à juger de la tenue d’une fille /d’une femme, à son goût ou provocante, à y réagir ostensiblement. Toute femme sait bien par expérience qu’elle peut à tout moment, dans la rue, se faire siffler ou recevoir des qualificatifs divers sur son apparence de la part de tout mâle qui passe par là. Mais ce n’est pas parce que c’est banal que c’est insignifiant. Car on se situe là au cœur de la domination masculine, telle que la définissait Pierre Bourdieu (dans La Domination masculine, 1998): le fait que « l’être féminin est sans cesse exposé à l’objectivation opérée par le regard et le discours des autres », que c’est avant tout « un être perçu »… En attestent les normes esthétiques comme les normes vestimentaires, omniprésentes et jamais simples, comme le montre le cas de la jupe : les femmes sont toujours entre le « en faire trop » et ne pas « en faire assez », entre la pute et la maman, il ne faut pas provoquer, mais être féminine, c’est-à-dire jugée comme telle par les hommes. De toute façon, on n’est jamais sûre d’être comme il faut, d’où une insécurité permanente qui vient nourrir le marché de la minceur, de la beauté… et des antidépresseurs. Les jeunes filles sont particulièrement sensibles à ces messages que leur rabâchent la presse qui leur est dédiée dès l’enfance et l’ensemble des médias (voir les magazines tels que « Girls », « Lolie », « Jeune et jolie », ou encore les exemples donnés dans le bel essai de Mona Chollet – « Beauté fatale » qui vient de sortir chez Zones).
Face à ces filles qui sont ainsi invitées à sexualiser leur apparence, l’enjeu étant de plaire aux garçons présenté comme l’enjeu même de l’existence, les garçons distribuent leurs verdicts : les filles sont du « matériel » (pour reprendre l’expression qu’aurait utilisée D.Strauss-Kahn pour désigner les « filles » de ses soirées libertines…) et tout est permis. Dans les propos et les attitudes des jeunes garçons (et ici leur assimilation jupe/pute), on peut se demander quel peut être l’impact de la consommation du « porno » qui est aujourd’hui banalisée (dans une enquête du CSA menée en 2003, auprès d’élèves scolarisés de la 4ème à la terminale, 80% des garçons, et 45% des filles, déclarent avoir vu au moins un film porno dans les 12 derniers mois).
Une chose semble avérée, une montée de tensions et de rapports plus rugueux entre garçons et filles, du moins dans certains contextes sociaux. Dans un environnement de plus en plus sexuel (et non plus sexué) Il ne faut pas sous-estimer la complexité de ces questions dominées par l’ambiguïté de la « libération sexuelle ». Ainsi, on peut considérer la mini-jupe comme une émancipation –les jeunes filles y affirment le dévoilement de leur corps et leur désir autonome de séduction-, ou bien comme une soumission aux diktats des hommes, qui exigent et apprécient ce dévoilement, preuve de la disponibilité des filles ou des femmes à leurs propres désirs. Questions de valeurs (voire de « civilisation ») sans doute, et le/la sociologue n’a donc pas à prendre parti ; mais pourquoi n’en fait-on pas une dimension de l’éducation des jeunes ? Non pas leur dicter comment s’habiller mais comment se présenter à autrui pour ce qu’on est, comment aborder l’autre sexe et tenir compte de ses réactions, comme se construire comme une personne face à des modèles parfois dégradants, etc. Serait-ce vraiment trop futile ?
Avril 2012.