« L’égalité professionnelle est redevenue une priorité »
Najat Vallaud-Belkacem Porte-parole du gouvernement, ministre des Droits des femmes
« L’égalité professionnelle est redevenue une priorité »
« Voulez-vous donner votre nom à une nouvelle loi ou voulez-vous changer les choses? » Voilà la question posée inlassablement par la quasi-totalité des interlocuteurs que j’ai rencontrés pour construire notre feuille de route de la grande conférence sociale. La question de l’égalité professionnelle y a été centrale. C’est une vraie nouveauté. Nous sommes là pour faire des choses, pas pour jeter un écran de fumée. Voici une deuxième nouveauté. Nous sommes là pour faire des choses avec les organisations syndicales et professionnelles dans le cadre d’un engagement tripartite. C’est là une troisième nouveauté et un ingrédient déterminant du succès.
Notre arsenal juridique en matière d’égalité professionnelle, tel qu’il s’est construit depuis 40 ans, est plutôt bien structuré et relativement complet. Il n’est quasiment pas appliqué. Seule la moitié des entreprises qui devraient établir un rapport de situation comparée le font. Seul un dixième négocie sur l’égalité. Une loi a été votée en novembre 2010 qui a prévu de fortes sanctions en cas de non respect de ces obligations. Et tout a été fait par le gouvernement précédent pour qu’elle ne s’applique jamais.
Il existait jusqu’à aujourd’hui un triangle de faiblesses qui conduit à reléguer au second plan, dans l’ordre des priorités, l’égalité entre femmes et hommes dans l’entreprise :
* faiblesse de l’Etat dans la mise en œuvre des lois et le conseil aux entreprises;
* faiblesse des organisations syndicales, peu promptes à pousser ces sujets dans les différents moments de négociations;
* faiblesse des employeurs et notamment des PME et de du tissu économique intermédiaire, qui voient dans les inégalités entre femmes et hommes un problème de la société toute entière, qui les dépasse.
Nous allons faire progresser la cause des femmes dans l’entreprise en nous appuyant sur l’engagement des chefs d’entreprise, des délégués syndicaux, des directeurs de ressources humaines riches en idées et prêts à des efforts réels pour s’attaquer aux racines des inégalités salariales. Je mesure également l’implication des responsables des branches professionnelles où les femmes prédominent. Dans les métiers de la propreté, une conférence de progrès sur le temps partiel nous a été proposée et nous allons saisir cette opportunité.
La volonté partagée seule ne suffit pas, mais elle est un préalable. S’il y a encore un écart de 24% de rémunérations brutes mensuelles entre femmes et hommes dans notre pays, chacun convient que la cause en est que nous ne nous sommes pas attaqués aux causes structurelles des inégalités:
* les différences dans le temps de travail et notamment le temps partiel;
* les enjeux de l’articulation des temps de vie qui pèsent particulièrement sur les femmes;
* les ressorts profonds de notre société et les stéréotypes qui conduisent les femmes à cette division sexiste du travail dans laquelle on attend des femmes des prétentions salariales inférieures.
Mais même lorsque l’on évacue ces causes profondes, il persiste un écart de 9% du salaire horaire, à qualification et caractéristiques d’emploi équivalents. Cet écart de 9%, aucun raisonnement ne le justifie. Il est n’est ni compréhensible ni acceptable. Nous nous sommes dit les choses clairement: nous sommes là pour résorber cet écart en priorité. Si nous décidions aujourd’hui que nous souhaitons le faire d’ici cinq ans, il faudrait que les entreprises consacrent entre 0,5% et 1% de leur masse salariale chaque année à des mesures spécifiques telles que certaines d’entre elles, les plus grosses, en adoptent aujourd’hui dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires. C’est donc un effort très conséquent, mais c’est aussi un effort qui n’est pas hors de portée. Disons le mot: c’est une question de priorité. Et désormais l’égalité professionnelle est redevenue une priorité.
Nous devrons veiller à ne pas concentrer exclusivement nos travaux sur les 4,7 millions de femmes qui sont les femmes des entreprises de plus de 10 salariés du secteur dit concurrentiel. Si nous plaçons la focale de façon si étroite nous oublierons 8,8 millions de femmes qui sont actives, soit dans de plus petites entreprises, soit dans le secteur public, soit sont au chômage. Plus encore nous oublierons toutes les femmes qui sont statistiquement inactives. Elles sont près de 8 millions là encore et pour partie elles sont en dehors du marché du travail du fait des discriminations dont nous aurons à traiter. Alors qu’elles pourraient apporter beaucoup plus à l’économie de notre pays. Une étude de l’Union européenne a montré que si la France arrivait à un taux d’emploi des femmes équivalent à celui des hommes elle pourrait accroître son potentiel de croissance de 20%. Je ne pense pas que nous puissions aujourd’hui nous passer de cette réflexion.
Enfin, une question est devenue centrale pour les négociations qui s’ouvrent : celle du temps partiel. Près de la moitié des écarts de salaires entre femmes et hommes s’explique pas l’écart dans le recours au temps partiel. J’ai rencontré ces derniers jours ces femmes dont le quotidien est miné par les contraintes, les femmes sandwich qui n’ont ni liberté de choix, ni liberté de temps. On dit volontiers de ces femmes qu’elles sont précaires. Leur activité professionnelle l’est et avec elle, parfois souvent leur existence, celle aussi parfois de leurs enfants et de leurs familles. Ces femmes sont un rouage déterminant de notre économie. Et pourtant elles sont depuis vingt ans les oubliées de la sécurité de l’emploi. Elles ont été oubliées de la loi Tepa. Elles ont été dans les angles morts des réformes de la formation professionnelle, de l’assurance chômage de la sécurité sociale ces dernières années.
Je pense que le petit temps partiel ne doit être autorisé que lorsqu’il peut s’exercer dans des conditions qui garantissent des droits sociaux corrects, c’est-à-dire un accès aux indemnités journalières en cas de maladie, à une couverture chômage en cas de rupture du contrat et à la formation professionnelle. Dans chaque branche professionnelle, la mise en œuvre de cette logique se fera dans des conditions différentes. Mais pour inciter les partenaires sociaux de branche à négocier un point de départ, peut être faut-il fixer un horaire minimal pour tous les contrats.
Sans doute nous n’avancerons pas de la même manière, à la même vitesse sur tous les leviers. Mais en matière d’égalité, la méthode de la Grande conférence sociale prend tout son sens. C’est par l’action collective de l’Etat et des partenaires sociaux, que nous pourrons envisager des solutions d’avenir. Et pour cela, nous sommes déjà tous ensemble au travail.