Harcèlement sexuel : la définition de l’infraction est-elle fidèle au droit européen ?

Harcèlement sexuel : la définition de l’infraction est-elle fidèle au droit européen ?

Harcèlement sexuel : la définition de l’infraction est-elle fidèle au droit européen ?

Le Point.fr – Publié le 15/07/2012

« Comme disait Stendhal, l’admission des femmes à l’égalité parfaite serait le signe le plus sûr de la civilisation. » Le message de Christiane Taubira en conclusion de son discours du 11 juillet devant les sénateurs tiendra-t-il ses promesses ? Selon certains juristes, la nouvelle définition du harcèlement sexuel telle qu’adoptée à l’unanimité par la chambre haute ne protège pas suffisamment les victimes et serait même contraire au droit européen.

Le harcèlement y est défini comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou agissements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard une situation intimidante, hostile ou offensante ». Le « chantage sexuel » est également puni puisque, selon le projet de loi, « est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir tout acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

Ces faits sont sanctionnés de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Les mêmes atteintes portées par une personne abusant de son autorité sont punies de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Tel est le cas si la victime a moins de 15 ans ou est d’une particulière vulnérabilité due à son âge, une maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique ou un état de grossesse. Les peines sont également aggravées en cas de pluralité d’auteurs et de complices.

En quoi la nouvelle rédaction du texte créerait-elle un déséquilibre en défaveur des victimes ? Le Point.fr a interrogé Hélène Echard, avocate au cabinet Ravisy et Associés.

Le Point.fr : Selon vous, le texte de loi tel qu’il a été adopté jeudi au Sénat est contraire au droit européen. Quels sont vos arguments ?

Hélène Echard : Les termes retenus par les Sénateurs (« imposer », « ordres », « menaces », « contraintes », « pression grave ») expriment tous une forte intentionnalité de la part de l’auteur du harcèlement. Certes, cette exigence d’intentionnalité correspond à la tradition française du droit pénal selon laquelle il n’y a pas de délit sans intention, mais le texte est problématique, car les harceleurs pourront s’engouffrer dans la brèche législative et faire plaider qu’il n’a jamais été dans leur intention d’imposer quoi que ce soit à la victime.

Les directives européennes, elles, n’exigent pas cette intentionnalité comme élément constitutif du harcèlement sexuel. L’article 2 de la directive du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe d’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail définit le « harcèlement sexuel » de la façon suivante : « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet (ce qui ne suppose pas forcément l’intentionnalité) de porter atteinte à la dignité d’une personne et, en particulier, de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

L’article 2 de la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail propose la même définition. Il prévoit que le harcèlement est « considéré comme une forme de discrimination au sens du paragraphe 1 lorsqu’un comportement indésirable lié à l’un des motifs visés à l’article 1er se manifeste, qui a pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »

Les rédacteurs du texte français ont évité de s’appuyer sur le seul ressenti des victimes. Cela ne procède-t-il pas d’une démarche équilibrée ?

L’approche française du droit pénal est très protectrice des droits de la défense et l’on ne peut que s’en féliciter. Il existe également une forte crainte de tomber dans l’excès inverse des États-Unis où les hommes n’osent pas prendre l’ascenseur avec une femme seule de peur d’être accusés de harcèlement sexuel. Toutefois, les lois anglo-saxonnes (et l’on sait que le droit européen est très influencé par cette approche) ont tendance à se fier davantage aux conséquences de certains comportements qu’à la volonté qui anime leur auteur. Cette approche prend en compte le point de vue des victimes, et pas seulement leur ressenti. A cet égard, plusieurs textes européens font référence, sans les distinguer, aux agissements intentionnels qui ont pour objet, mais aussi à ceux qui, non intentionnels, ont pour effet une dégradation des conditions de travail ou une atteinte à la dignité (harcèlement moral, harcèlement sexuel).

Selon la garde des Sceaux, la définition de la directive européenne n’a pas été reprise telle quelle parce qu’elle n’est pas de nature pénale. Qu’en pensez-vous ?

À notre avis, la position de la garde des Sceaux mérite d’être reconsidérée. Rappelons que le droit pénal français réprime certains délits non strictement intentionnels, par exemple les blessures involontaires ou la mise en danger d’autrui.

Comment, juridiquement, cette possible incompatibilité avec le droit européen pourrait-elle être soulevée ?

Une fois que la loi aura été adoptée, il nous semble qu’il sera très compliqué de faire valoir juridiquement son incompatibilité avec le droit communautaire. On pourrait envisager qu’une victime invoque à l’occasion du procès l’effet direct du droit communautaire, mais les chances de succès d’un tel argument sont incertaines. Est-ce que la Commission européenne pourrait se saisir de cette question en engageant une action en manquement contre la France qui aurait mal transposé la directive ? La question pourrait se poser.

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