Edito juin 2007
La candidature de Ségolène Royal a ouvert une brèche dans le conservatisme du système politique. Désormais, il faudra bien s’y faire, en France une candidate à l’élection présidentielle peut être en position éligible.
Ce n’est pas une mince affaire. En effet, sous la Vème République, les « grands » partis politiques, quelles que soient les tendances, ont manifesté une résistance coriace à la féminisation de la vie politique. Fonctionnant sur la base de réseaux et de courants constitués autour d’hommes présidentiables, ils ont imposé cet « entre-soi » masculin avec ses règles et ses rites. Certes, les femmes se sont de plus en plus intéressées à la politique. Mais il leur est encore difficile de s’y tailler une place puisque c’est l’inégalité entre les femmes et les hommes qui assure le pouvoir à ces derniers. Abnégation et docilité sont les vertus cardinales que l’on attend d’elles. Alors, quand Ségolène Royal a eu l’outrecuidance de se présenter comme candidate, on l’a prestement renvoyée au ménage (« qui va garder les enfants ») et à la beauté (« l’élection présidentielle, ce n’est pas un concours de beauté »). Irritation passagère d’hommes sérieux, responsables ? Non. Simple manifestation du fonctionnement crispé d’un appareil où (comme dans les autres partis) les hommes dirigent, organisent, tandis que les femmes sont avant tout chargées de passer le baume du lien social. Ségolène Royal a donc contourné le parti et ce dernier le lui a bien rendu.
Sa candidature a aussi ouvert une brèche dans la sacralisation du pouvoir politique que la France a poussée plus loin que d’autres états. La sacralisation se caractérise par la délimitation d’un espace clos ; y pénétrer implique que l’on s’identifie à des modèles dominants. Elle présuppose également la durée, l’intangibilité : une fois élu, c’est la tranquillité assurée pour cinq ans. Remettre tant soit peu en cause ce fonctionnement en évoquant « les jurys citoyens », c’est avoir un comportement hérétique. Et les anathèmes les plus grotesques de fuser ! Pourtant, cette proposition part d’une idée exigeante : l’activité de la citoyenneté n’est pas seulement un engagement limité aux élections.
La démocratie, telle qu’elle fonctionne, est fondée sur la représentation. Or, les femmes accèdent plus difficilement au statut de représentante. Représenter a, en effet, une forte valeur symbolique tandis que participer au gouvernement dépend seulement du fait du prince : comme le monarque, le Président choisit ses ministres. Ainsi, alors que les femmes n’avaient toujours pas le droit de vote, à l’époque du Front Populaire, Léon Blum a nommé trois femmes sous-secrétaires d’Etat. Les désignations des candidat-es aux élections législatives de 2002 ont montré que les partis à vocation gouvernementale ont investi peu de femmes. Ils ont préféré payer des amendes, la palme revenant à l’U.M.P. qui a dû verser quatre millions d’euros pour non respect de la loi dite de parité. Il est intolérable que la présence des femmes soit monnayable, objet de transaction et que l’on puisse acheter le droit de frauder. Quant à la Présidence de la République, il semble bien que, malgré des changements chez les électrices et les électeurs, elle reste associée à un modèle masculin. Le modèle du père, « vieille idée latine, catholique du pater familias, à l’image du pape », précise l’historienne Michèle Perrot. Stabilité et autoritarisme. Or, nous n’avons pas besoin d’un père. Ni d’une mère d’ailleurs. La question est plutôt de savoir comment la société, dans sa diversité, est prise en compte dans l’élaboration des décisions des élu-es. A nous de créer de nouveaux processus permettant au plus grand nombre de participer à « la chose publique ».
Marie-Josée SALMON.
(Extrait du Bulletin n° 285 – juin 2007)