Un article en réponse aux pro-prostitution : « Pour mieux penser la prositution : quelques outils et quelques chiffres qui peuvent être utiles… »
Un article en réponse aux pro-prostitution : « Pour mieux penser la prositution : quelques outils et quelques chiffres qui peuvent être utiles… »
http://stopauxviolences.blogspot.fr/2012/09/article-de-muriel-salmona-en-reponse.html
Pour mieux penser la prostitution : quelques outils et quelques chiffres qui peuvent être utiles…
Dre Muriel Salmona, Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie,
le 3 septembre 2012
En réponse aux pro-prostitution qui se présentent comme garants de la liberté et du progressisme et qui nous présentent, nous, associations abolitionnistes, comme des groupuscules rétrogrades, réactionnaires obnibulés par une moralisation de la société et une volonté de contrôler la vie sexuelle des autres.
Rappelons tout d’abord ce qu’est l’abolition : la France a fait le choix politique d’être un pays abolitionniste depuis 1946 et l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité le 6 décembre 2011 la résolution « réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution » que l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité le 6 décembre 2011. La position abolitionniste, faut-il encre le rappeler n’a rien a voir avec la prohibition qui interdit la prostitution et sanctionne toute personne qui sollicite, accepte, organise ou prend part à un acte de prostitution, l’abolition ne rend pas la prostitution illégale, elle vise à sa disparition en abolissant toutes les règles spécifiques susceptibles de la favoriser, la prostitution privée est donc licite pour la position abolitionniste.
Cette proposition de loi a été présentée par la députée PS Danielle Bousquet, le député UMP Guy Geoffroy, et tous les présidents de groupes. Mme Danielle bousquet, qui a présidé une mission d’information parlementaire sur la prostitution en France très documentée rendue le 13 avril 2011, avec Guy Geoffroy comme rapporteur (mission pour laquelle nous avons été auditionnées), a déposé une proposition de loi le jour-même visant à responsabiliser les clients de la prostitution en pénalisant l’achat de services sexuels, à renforcer la protection des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme, et à proposer des alternatives à la prostitution.
Ensuite, la liberté dont se réclament les pro-prostitution est en fait le désir de conserver pour les hommes (les clients sont dans leurs écrasante majorité des hommes) un privilège exhorbitant d’accès et de prise de possession du corps des femmes réduit à une marchandise selon leur envie, qu’ils nomment par abus de langage : sexualité, travail du sexe, dans une confusion intentionnellement entretenue entre sexualité et prédation. La liberté serait selon eux une valeur supérieure, liberté de faire ce que bon leur semble dans le cadre de « leur vie sexuelle ». Et contraindre cette liberté serait alors une oppression ou un retour à des valeurs réactionnaires. Avec ce raisonnement, ils se permettent de taxer toutes les personnes qui s’élèvent pour dénoncer ces violences, de moralisatrices, rétrogrades, voir fascisantes… Or la liberté de chacun est soumise à des limites, elle s’arrête là où commence la liberté et les droits d’autrui. Le droit, y compris le droit international des droits humains, prévoit des restrictions de droits et surtout de libertés. Il en est ainsi de la Convention européenne des Droits de l’Homme. La liberté n’a de sens que dans un monde juste où l’égalité de droits de chacun est respectée, sans discrimination. La liberté suppose le respect de la loi et elle doit être la liberté de tous, des forts aussi bien que de ceux qui sont en position de vulnérabilité : liberté, loi et égalité sont indissociablement liées. Si tel n’est pas le cas on aboutit comme le fait remarquer Karl Marx « à la liberté du renard libre dans le poulailler libre… ». Et nous pouvons reprendre la phrase célèbre de Lacordaire « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. ».
Dans ce système, la réalité de la violence des actes commis au nom de sa liberté est gommée et remplacée par une intentionnalité qui serait bonne pour la victime : les personnes en situations prostitutionnelles s’enrichissent grâce à eux, elles font un travail utile (elles évitent des viols), thérapeutique (elles sortent de la misère sexuelle et relationnelle des pauvres bougres) déresponsabilisant ainsi les auteurs de violences. Comme dans le monde totalitaire de « 1984 » de George Orwell, où les slogans « la guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force » sont martelés en continu, nous subissons un véritable bourrage de crâne qui tend à nous persuader que « la violence c’est l’amour », « la sexualité c’est la prédation », etc. Pire encore, la victime des violences peut être convoquée dans un scénario où tout cela n’est pas si grave puisqu’en fait elle serait censée aimer cela puisque c’est sont choix.
Or la prostitution bafoue les droits à l’égalité, à la sécurité, et à la santé des personnes en situation prostitutionnelle. Notre expérience et notre expertise en tant que professionnels de la santé prenant en charge des personnes étant ou ayant été en situation prostitutionnelle depuis plus de 20 ans ainsi que les nombreuses études médicales internationales sur l’impact sur la santé de la prostitution montrent que :
– la prostitution est non seulement une atteinte à la dignité des personnes et une discrimination sexiste, mais elle est une atteinte à aux droits de vivre en sécurité (sans subir de violence) des personnes en situation prostitutionnelle, une atteinte à leurs droits à la santé et à un accès à des soins adaptés par des professionnels formé et compétents (la prostitution représente une perte de chance importante en matière de santé).
– la prostitution est traumatisante pour les personnes en situations prostitutionnelles, elle est à l’origine d’importants troubles psychotraumatiques retrouvés chez 60% à 80% d’entre elles, entraînant de lourdes conséquences sur leur santé physique, psychique et sexuelles, les obligeant faute de soins appropriés à devoir composer avec une mémoire traumatique qui leur fait revivre toutes les situations les plus traumatisantes et à recourir à des mécanismes de défense et des stratégies de survie anesthésiants coûteux entraînant des processus de dissociation et de décorporalisation : dissociation psychique entre la personnalité prostituée et la personnalité « privée » de la personne prostituée, dissociation physique avec des troubles de la sensibilité corporelle et sensorielle: hypoesthésie, anesthésie, seuil de tolérance à la douleur élevé
– ces traumatismes sont dus aux violences répétées que subissent les personnes prostituées (et les troubles psychotraumatiques sont des réponses normales liées à la mise en place de mécanismes neuro-biologiques de sauvegarde face au stress extrême et aux atteintes cardiologiques et neurologiques provoquées par les violences). Ces violences sont omniprésentes : violence de la situation prostitutionnelle elle-même, violences pendant la situation prostitutionnelle auxquelles sont exposées les personnes prostituées, violences précédant l’entrée en situation prostitutionnelle, risque important de subir de nouvelles violences après la sortie de la situation prostitutionnelle.
1- violence de la situation prostitutionnelle
La situation prostitutionnelle réifie les personnes prostituées, et transforme leur corps en marchandise, elle met en scène un mépris de leur personnalité, un déni de leurs désirs, une ignorance de leur identité humaine (elles sont interchangeables), une assimilation à un objet sexuel totalement « utilisable », des humiliations et des injures (en résumé tout ce qui fait le caractère humain unique d’une personne est nié et doit disparaître au bénéfice du rapport strictement commercial), à l’image de la pornographie, la prostitution permet aux clients prostitueurs de mettre en scène une « érotisation » de la haine, de la violence et de l’humiliation vis-à-vis des femmes.
De plus, dans la plus grande majorité des cas (80%) il s’agit d’une situation de traite des êtres humains et d’esclavage sexuel organisés par des réseaux, avec une impossibilité pour les clients prostitueurs de savoir si la personne prostituées est victime de ces réseaux ce qui le rend coupable de complicité d’activité criminelle, de même il lui sera très difficile de s’assurer que la personne prostituée est majeure, ce qui le rend là aussi coupable de délit aggravé ou de crimes.
2- violences pendant la situation prostitutionnelle
La situation prostitutionnelle expose les personnes prostituées à de nombreuses violences 71% des personnes prostituées ont subis des violences physiques avec dommages corporels (clients, proxénètes), 63% ont subis des viols, 64% ont été menacées avec des armes,75% ont été en situation de SDF à un moment de leur parcours, 89% veulent sortir de la prostitution (Melissa Farley, 2003).
Une étude prospective aux USA sur 33 ans de 1969 femmes (John J. Potterat, 2003) a montré que pendant la situation prostitutionnelle les personnes prostituées ont un taux de mortalité bien plus important que la population générale (femmes de même âge, mêmes origines) 459/100 000 contre 5,9/100 000 (x78) avec une moyenne d’âge de décès à 34 ans les causes de mortalité sont l’homicide, la prise de drogues, les accidents, l’alcool, la situation prostitutionnelle est l’activité la plus à risque de mort par homicides (clients, proxénètes) avec 204/100 000, le métier le plus dangereux aux USA étant à 29 homicides /100 000 pour les hommes et 4 homicides/100 000 pour les femmes).
3- violences avant l’entrée en situation prostitutionnelle :
On retrouve dans toutes les études chez les personnes en situations prostitutionnelles des antécédents de violences avec de multiples violences exercées le plus souvent depuis la petite enfance : maltraitance 59%, agression sexuelles dans l’enfance de 55% à 90%, étude de Mélissa Farley en 2003 (dans 9 pays et 854 personnes prostituées) : 63% avec en moyenne 4 auteurs pour chaque enfant), la majorité des situations prostitutionnelles débutent avant 18 ans (moyenne 13-14 ans)
le taux d’antécédents de violences sexuelles retrouvés chez les personnes prostituées est extrêmement important et le lien entre violences sexuelles subies pendant l’enfance et entrée en prostitution est évident :
* en 1978 aux États Unis à San Francisco, une étude montre que 80% des personnes prostituées enquêtées ont été victimes de violences sexuelles : 37% d’incestes, 33% de violences sexuelles, 60% de viols
* en 1981 aux États Unis une étude sur 200 des personnes prostituées montre que 60% avaient été maltraitées sexuellement à un âge moyen de 10 ans
* en 1986 aux États Unis une étude montre que 60 à 65% des personnes prostituées étudiées ont subi des violences sexuelles
* en 2003 une étude de Mélissa Farley (dans 9 pays et 854 personnes prostituées) : 63% avec en moyenne 4 auteurs pour chaque enfant), la majorité des situations prostitutionnelles débutent avant 18 ans (moyenne 13-14 ans)
* en 2008 une étude australienne montre que 75% des personnes prostituées ont subi des violences sexuelles avant 16 ans
* en mars 2010 le CFCV collectif féministe contre le viol montre dans une étude faite sur les 187 appels de personnes prostituées reçus à la permanence viols femmes-informations de 1998 à fin 2007 que 100% ont été agressées sexuellement avant d’avoir été exposées à la prostitution. 402 agresseurs ont été dénombrés soi une moyenne de 2,15 agresseurs par victime
4- violences après la sortie de la situation prostitutionnelle :
Du fait des troubles psychotrauatiques, avoir subi des violences du fait des troubles psychotraumatiques expose à de nouvelles violences, l’OMS en 2010 a déclaré que le principal risque d’être victime de violences est d’avoir déjà subi des violences.
– ces chiffres impressionnants montrent que l’entrée en situation prostitutionnelle est une conséquence fréquente de violences subies dans l’enfance, particulièrement de violences sexuelles, ces violences très souvent non identifiées (avec des victimes qui sont abandonnées à leur sort sans protection, ni prise en charge, aux prises avec une loi du silence) sont à l’origine d’atteinte à leur dignité (le ou les agresseurs leur signifiant que leur corps ne leur appartient pas, qu’ils ont le pouvoir de les nier, et de les réduire à des objets sexuels que l’on peut torturer pour son plaisir), de fugues et de départ précoces pour fuir le milieu familial maltraitant (situations à risque et de précarité qui les mettront en danger) et d’importants troubles psychotraumatiques avec une mémoire traumatique des violences qui va les coloniser ensuite transformant leur vie en enfer en leur faisant revivre les terreurs et les souffrances des agressions sexuelles, les mises en scène pornographiques de/des agresseur-s, leurs propos orduriers et dégradants, ainsi que l’état d’excitation et de jouissance perverse des agresseurs.
– et cette mémoire traumatique fera qu’au moindre lien rappelant les violences ou lors de stress importants, leur champ psychique sera envahi par des scènes de violences sexuelles, par les phrases prononcées par les agresseurs « tu n’es qu’une salope, qu’une putain », « tu n’es bonne qu’à ça », « tu aimes ça », par les comportements méprisants et humiliants des agresseurs, etc. Cette colonisation par les violences et les agresseurs les rend vulnérables et peut leur fait croire qu’elles ne valent rien et qu’elles « ne méritent que ça », qu’elles sont « coupables et doivent être punies », qu’elles peuvent supporter l’insupportable, voire même « aimer » être dégradées sexuellement, voire « en jouir », ce qui est faux bien sûr et créé de toute pièce par les agresseurs et par la mémoire traumatique des agressions (les scénari, l’excitation, la jouissance qui les colonisent ne sont pas les leurs, mais ceux des agresseurs). Les réminiscences de violences sexuelles peuvent être prises pour des « fantasmes » de viols, les réminiscences de propos les traitant de « putain » et celles de violences sexuelles par plusieurs agresseurs peuvent être prises pour des « fantasmes » de prostitution, alors que ce ne sont pas des productions de leur imagination, mais des intrusions provenant des violences qui contaminent leur sexualité et qui les remplissent de doute sur elles-mêmes.
– cette vulnérabilité est renforcée par les stratégies de survie dissociantes mises en place par des mécanismes neuro-biologiques lors des violences (seul moyen pour s’anesthésier et échapper à une souffrance et un stress extrême représentant des risques vitaux), et par des conduites dissociantes (conduites à risque, conduites addictives) pour échapper ensuite à la mémoire traumatique de ces même violences, ces stratégies de survie entraînent une anesthésie émotionnelle et physique et une décorporalisation.
– l’ensemble de ces conséquences des violences sexuelles subies dans l’enfance représentent des facteurs de risque importants d’être repérer par des prédateurs proxénètes qui vont profiter de la vulnérabilité de ces personnes victimes, mais aussi d’entrée en situation prostitutionnelle par : mésestime de soi, formatage la condition d’esclave sexuelle et mise en scène prostitutionnelle, et piégeage par les troubles psychotraumatiques (mémoire traumatique et conduites dissociantes).
– de plus de nombreuses études internationales récentes ont montré qu’avoir subi des violences, particulièrement dans l’enfance, est le principal déterminant de la santé.
Il est donc essentiel pour éviter ces conséquences de protéger les personnes en situation prostitutionnelle de toute violence en luttant contre le système prostitueur, de leur proposer des prises en charge avec des informations sur les conséquences sur la santé et de leur offrir des soins adaptés, et de les aider à se réinsérer en leur proposant des alternatives à la prostitution.
La prévention passe par un dépistage des violences sexuelles subies par les enfants (la majorité des violences sexuelles sont subies par des mineurs), par la protection de ces enfants victimes, leur accès à la justice et à des réparations, et à des soins spécialisés (formation des professionnels de santé, ouverture de centre de soins spécifiques gratuits et accessibles sur tout le territoire).
Dre Muriel Salmona
Psychiatre – Psychotraumatologue
Responsable de l’Antenne 92 de l’Institut de Victimologie
Présidente de l’Association
Mémoire Traumatique et Victimologie
drmsalmona@gmail.com
Pour en savoir plus consulter le site : http://memoiretraumatique.org/