Les agressions sexuelles, armes de guerre en Syrie

Les agressions sexuelles, armes de guerre en Syrie

Les agressions sexuelles, armes de guerre en Syrie

France 24 / 29/09/2012

Bachar al-Assad – Droits de l’Homme – Human Rights Watch – Syrie – Viol
Les agressions sexuelles, armes de guerre en Syrie
Alors que le conflit syrien s’intensifie, de plus en plus de témoignages font état d’agressions sexuelles contre les détenus dans les geôles du régime et lors des raids de l’armée régulière dans les foyers des civils.

Par Sarah LEDUC (texte)

« Il lui a inséré un rat dans le vagin. Elle criait. Après, nous avons vu du sang sur le sol. Il lui a dit : ‘Tu en as eu assez ?’ Ils se moquaient d’elle. C’était évident qu’elle était en train d’agoniser. Ça sautait aux yeux. Et, d’un coup, elle a cessé de bouger. » Ce récit glaçant est celui d’une Syrienne rescapée de prison qui s’est confiée fin septembre au journaliste britannique de la BBC Fergal Keane, après avoir été témoin d’un crime sexuel au centre de la branche palestinienne des services de sécurité militaire syriens, à Damas.

Son témoignage ne relate pas un fait isolé. Il corrobore les rapports des Nations unies et de Human Rights Watch (HRW) qui soulignent la systématisation du viol comme arme de guerre en Syrie. Stratégies de guerre et d’avilissement de l’ennemi mille fois rôdées, tortures par trop efficaces, méthodes reconnues d’humiliation et de déshumanisation, les violences sexuelles ont pris de l’ampleur dès le début de l’insurrection syrienne, en mars 2011.

« Nous avons commencé à recueillir des témoignages d’agressions sexuelles de femmes et de jeunes filles à partir du siège de Bab Amr (à Homs, en mars 2011, NDLR). Cela ne veut pas dire que cela n’existait pas avant, mais c’est à partir de ce moment que la parole a émergé et que de plus en plus de fausses couches à la suite d’un viol ont été signalées », explique à FRANCE 24 Lama Fakih, chercheuse spécialiste de la Syrie à HRW.

Jeunes adolescentes, garçons, hommes et femmes, tous sont autant de potentielles victimes des agressions sexuelles qui sévissent aussi bien dans les prisons du régime de Bachar al-Assad que lors des raids au sol des troupes armées.

Viol collectif en détention et dans les foyers

Selon un rapport des Nations unies publié en novembre 2011, d’anciens détenus rapportent avoir été frappés au niveau des parties génitales, contraints de faire des fellations, soumis à des séances d’électrochoc et à des brûlures de cigarettes sur l’anus lors de leur passage dans les geôles syriennes. Des témoignages recoupés par HRW dans son rapport de juin dernier.

« Ils ont commencé à me torturer là (l’homme pointe du doigt ses parties génitales). Ils m’ont aussi battu tandis qu’un garde, qui se tenait derrière moi, m’électrocutait. J’étais entièrement nu. Je me suis évanoui », raconte Salim*, un soldat détenu en juin 2011 dans une prison de Lattaquié, dans le rapport de HRW.

Derrière les portes des foyers, brisées lors des assauts de l’armée, les femmes se font agresser par des hommes en armes, souvent sous les yeux de leurs enfants, père, mère, frère ou mari. Selma*, une habitante de Homs, a entendu ses voisines se faire violer les unes après les autres par des soldats alors qu’elle se cachait chez elle. Hantée, elle raconte à HRW : « Les Chabihas (milices pro-Assad, NDLR) ont défoncé la porte de ma voisine. Elle avait plusieurs filles. Ils ont attrapé la plus jeune, celle de 12 ans, qui hurlait qu’on ne lui enlève pas ses vêtements. Ils l’ont violée à plusieurs, elle et les deux autres qui avaient 16 et 18 ans. Celle de 20 ans, ils lui ont tiré une balle dans la tête parce qu’elle les avait griffés ».

La parole verrouillée

Les témoignages de victimes sont difficiles à recueillir. Honte, ostracisme, rejet familial, crime d’honneur, crainte des représailles… Les raisons ne manquent pas pour les retenir de parler. « Les victimes de violences sexuelles souffrent déjà de troubles physiques et psychologiques. Mais elles craignent en plus d’être ostracisées et rejetées socialement. Certaines vont jusqu’à se suicider », poursuit Lama Fakih qui précise que les agressions sexuelles restent les crimes les plus difficiles à documenter en Syrie.

Les langues sont d’autant plus difficiles à délier que les agresseurs jouissent de la plus grande impunité. Pourquoi parler, au risque de l’humiliation, quand on sait d’avance que les auteurs de ces crimes ne seront pas punis et qu’ils bénéficient de l’approbation de l’appareil ? Certains déserteurs de l’armée racontent avoir été poussés à commettre des viols par leurs supérieurs. Mais ces récits restent, pour l’instant, non vérifiés.

“Rien ne nous prouve que les agresseurs commettent de tels actes sur ordre du régime, mais il est certain que tous, agents de sécurité, militaires, forces de police, peuvent agir en toute impunité”, affirme Lama Fakih.

Un rapport biaisé ?

L’accès quasi-impossible au terrain rend ces récits difficiles à vérifier et des questions restent en suspens. Il n’est, par exemple, pas possible de savoir si des faits similaires auraient été commis par l’opposition. Ni HRW, ni les Nations unies n’ont pu récolter de récits dans ce sens, « mais cela ne veut pas dire que ça n’existe pas », insiste Lama Fakih.

De même qu’il est aujourd’hui impossible d’évaluer le nombre d’agressions depuis mars dernier. L’association Women Under Siege tente, sur son site Internet, de cartographier les violences à caractère sexuel à travers tout le pays en sollicitant les témoins ou rapporteurs ayant pu se rendre sur place. Elle relevait une centaine d’agressions à la mi-août, dont plus de la moitié à Homs, dans le centre du pays. Là encore, les chiffres sont invérifiables.

“Entre les victimes qui sont toujours emprisonnées, celles qui sont mortes ou portées disparues et celles qui refusent de parler, nous ne pouvons pas connaître les proportions de ces crimes”, rappelle Lama Fakih qui redoute que les seuls récits rapportés ne soient que la face émergée de l’iceberg.

Le dernier rapport des Nations unies sur la Syrie a décrit le viol comme un crime contre l’humanité. Navi Pillay, haut commissaire des Nations unies pour les droits de l’Homme, a déclaré, le 11 septembre, que les tueries de masse et la torture étaient devenues « la norme » en Syrie, insistant pour que ces crimes soient portés devant la Cour pénale internationale. Le régime syrien, qui bénéficie toujours de soutiens au Conseil de sécurité, a, quant à lui, estimé que le rapport de l’ONU n’était « ni juste, ni objectif ». L’appel de Navi Pillay risque difficilement de convaincre à l’unanimité.

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