Edito Octobre 2010
Le projet de loi concernant les retraites abaisserait considérablement le montant des pensions. Il pénaliserait encore davantage les femmes en accroissant les inégalités entre les sexes : la retraite moyenne des femmes s’élève à 825.- euros contre 1 425.- euros pour les hommes, 44 % des femmes seulement parviennent à faire valider une retraite à taux plein contre 86 % des hommes. Ces inégalités reflètent très largement celles qui sont constatées dans la vie active et doivent donc être corrigées au moment de l’activité et dans une perspective à long terme.
Nombreux sont les mécanismes mis en œuvre pour construire ces disparités mais certains sont plus insidieux, plus difficiles à cerner. Parmi ceux-ci il faut dénoncer l’incohérence des mesures prises par les politiques. Ainsi des lois visant à lutter contre les discriminations sont en contradiction avec celles qui favorisent la flexibilité, le sous-emploi qui touchent tout particulièrement la population active féminine. En outre, la déqualification d’un travail s’opère par le statut de l’emploi. Les emplois à temps partiel (83 % de femmes) sont systématiquement considérés comme non qualifiés dans la grande distribution. D’une façon générale, le processus de qualification, loin de répondre à des critères objectifs, passe par le filtre des représentations sociales, en particulière celles du féminin et du masculin et il est le résultat de conflits et de négociations.
C’est à un radical changement de perspective que nous invitent trois chercheuses britanniques, Eilis Lawlor, Helen Kersley et Susan Steed de la New Economic Foundation de Londres. Elles interrogent la valeur du tavail et donc la rémunération en introduisant un autre critère, celui de « la valeur sociale » : qu’apportez-vous à la société ? Quelle est votre contribution au bien collectif ? Que détruisez-vous ? Il apparait ainsi que certaines professions apportent beaucoup et perçoivent peu. La méthode de ces chercheuses consiste à comparer la rémunération de certains métiers sélectionnés aux extrémités de l’échelle pour déterminer la valeur sociale qu’engendre leur exercice. Grâce à une série de calculs, elles estiment que dans le domaine du recyclage où un-une ouvrière est payé-e 6,10 livres (environ 7.- euros) de l’heure « chaque livre dépensée génèrera douze livres de valeur. » A l’opposé, dans le cas des publicitaires « pour chaque livre sterling de valeur positive 11,50 livres de valeur négative sont générées. » Que dire d’un conseiller fiscal grassement payé dont le mérite principal consiste à diminuer l’impôt des sociétés, ce qui prive ainsi la collectivité de son produit alors que chaque euro versé à une puéricultrice apporte 7 à 10.- euros d’avantages pour la société ! A l’appui de leur thèse, ces chercheuses citent une étude de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) intitulée « The spirit level : why more equal societies almost always do better » (2009) qui prouve que le creusement des inégalités dans 19 pays les plus riches entraîne des coûts sanitaires et sociaux vertigineux.
De gré ou de force, il faudra bien prendre en compte cette réalité qu’on cherche souvent à nous dissimuler.
Marie-Josée SALMON