Tribune : Le racisme fait son nid en Europe
Tribune : Le racisme fait son nid en Europe
Tahar Ben Jelloun
18 novembre 2013 La Repubblica Rome
http://www.presseurop.eu/fr/content/article/4328541-le-racisme-fait-son-nid-en-europe
Vlahovic
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Qu’il s’agisse des railleries à l’encontre d’une ministre française ou d’une collègue italienne, des cris de singe adressés aux footballeurs, de l’islamophobie ou des discriminations envers les Roms, les attitudes racistes s’affichent de plus en plus ouvertement. Il ne faut pourtant rien céder et faire preuve de pédagogie, estime l’écrivain Tahar Ben Jelloun.
Le racisme est le propre de l’homme. C’est ainsi, il vaut mieux le savoir et faire en sorte qu’il ne progresse pas et qu’il soit combattu par la loi. Mais cela ne suffit pas. Il faut éduquer, démonter ses mécanismes, démontrer l’absurdité de ses bases et rester vigilant.
La société française est perçue ces derniers temps comme lieu d’un racisme virulent, mais au fond elle n’est pas plus raciste qu’une autre. Le rejet de l’étranger, du différent, de celui qui est considéré comme une menace pour la sécurité est un réflexe universel et n’épargne aucune société. Le racisme peut dans certains cas se focaliser sur une communauté, mais cela ne veut pas dire qu’il ménage les autres. Autrement dit il n’y a pas de discrimination dans l’exercice de la haine. Tout le monde y passe.
Nous assistons aujourd’hui en Europe à des dérives qui sont graves, car le racisme commence par le verbe et pourrait se poursuivre par les fours crématoires. Traiter [la ministre de la Justice française] Christiane Taubira de guenon [lors d’une manifestation contre le mariage homosexuel, fin octobre] n’est qu’un début. Si on laisse faire, de l’insulte on passera facilement au châtiment corporel, à la torture (le cas du jeune Ilan Halimi) et au meurtre. C’est pour cela qu’il faut rappeler qu’il n’existe pas de racisme light et décaféiné.
Elle a eu raison Mme Taubira de regretter qu’aucune voix des dirigeants politiques ne se soit élevée contre le racisme dont elle a été victime. Une autre ministre a subi le même traitement cette fois-ci en Italie. Il s’agit du ministre de l’intégration Cecile Kyenge, originaire du Congo (Kinshasa) qui a été traitée de tous les noms par certains élus de la Ligue du Nord connus pour leur attachement au racisme. Des joueurs de football à la peau noire ont eux aussi été la cible d’un racisme bien enraciné. Quand un chef de gouvernement se permet de faire rire son auditoire à propos de “l’aspect bronzé d’Obama”, on ouvre par la même occasion les vannes et on donne un signal à ceux qui n’osaient pas exprimer leur racisme de se laisser aller et de cultiver leurs idées nauséabondes.
Une réponse facile aux difficultés de la vie
Il faut bien trouver un coupable. Avant, c’était le Juif, à présent c’est le musulman
Le fait que l’Europe a peu à peu perdu sa place prépondérante dans le monde non seulement sur le plan économique mais aussi culturel, favorise une aigreur susceptible de se transformer en un mépris de tout ce qui est autre. L’Espagne n’a pas encore assaini sa relation avec l’Islam. Les immigrés venus du Maghreb sont appelés “Mauros”, sachant que ce terme est péjoratif, rappelant le triste épisode de l’inquisition. La crise économique n’a pas arrangé les choses. On se méfie toujours de plus pauvre que soi, de plus étranger que soi. C’est cela qui fait que le racisme est l’attitude facile face aux épreuves de la vie. Il faut bien trouver un coupable. Avant, c’était le Juif, à présent c’est le musulman.
Si le racisme a toujours existé, il se trouve que des politiques en font leur fond de commerce. Il est plus facile de répandre la haine de l’étranger que le respect de ce qui est différent. L’homme a tendance à se laisser tirer vers les bas instincts surtout quand il a été fragilisé par des situations qu’il n’a pas su ou pu affronter. Le racisme est la paresse de la pensée pour ne pas dire le refus de penser. Il se trouvera toujours quelqu’un pour penser à votre place et à vous simplifier la lecture du logiciel du mal être.
On nous dit aujourd’hui que tous les adhérents du Front national ne sont pas racistes. Peut-être. Mais tous les racistes sont assurés d’être accueillis au sein de ce parti à condition d’être discrets à propos de leurs convictions. Tant que le souci principal des hommes politiques est d’assurer leur réélection, tous les dérapages les plus indignes auront lieu. Ajoutons à cela l’efficacité du nouvel habillage du Front national qui le rend fréquentable et même banal. Le fait de refuser d’être taxé de “parti d’extrême droite” est un signe intéressant pour passer d’un état à un autre. Si ce n’est qu’une question de mots, on pourrait admettre que l’aspect extrémiste a été remplacé par quelque chose de plus profond et de plus dangereux, la banalisation des préjugés et de la xénophobie.
Plus de pédagogie dans les écoles
Pour combattre les idées de ce parti, il faut un droit de réponse systématique chaque fois qu’un de ses dirigeants affirme des contre vérités ou proposent un programme non seulement inapplicable mais pouvant ruiner notre pays. A coté de cette vigilance qui manque cruellement dans tous les partis politiques en face, il faut développer la démarche pédagogique dans les écoles et faire un travail en profondeur et sur la durée.
Il faut dire et répéter que la peur et l’ignorance sont les deux mamelles de ce fléau, qu’il est aisé de démonter leur mécanisme par le savoir et l’intelligence, par le débat et la fin des tabous
Il faut que les enfants sachent, tant que leur esprit est encore disponible, sur quoi se base le racisme, son histoire, ses ravages et son inhumanisme. Il faut dire et répéter que la peur et l’ignorance sont les deux mamelles de ce fléau, qu’il est aisé de démonter leur mécanisme par le savoir et l’intelligence, par le débat et la fin des tabous. Il faut aborder tous les sujets et ne pas fermer les yeux sur les dérapages de certains qui développent eux aussi un racisme face aux stigmatisations dont ils sont victimes.
Le fait d’affirmer et de démontrer que les races n’existent pas ne fera pas disparaître le racisme, évidemment, mais au moins c’est une vérité qui ébranlera certaines certitudes.
Souvent, quand les exaspérations sont à leur comble, les dérives racistes se multiplient et on pense que le racisme croît alors qu’il a toujours été là, tapi dans les mentalités et prêt à se répandre quand s’accentuent le mal être et le besoin d’arrogance pour se sentir exister et surtout se considérer supérieur à autrui.